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g. séailles.philosophes contemporains

Sommes-nous au terme de nos efforts ? ne pouvons-nous nous remettre avec confiance au puissant génie qui de la critique de Kant a fait le point de départ d’une métaphysique nouvelle ? Il a réconcilié l’empirisme et l’idéalisme, les deux philosophies toujours opposées, toujours renaissantes ; il a rappelé l’homme à l’étude de la réalité, il lui a ouvert l’univers visible, toute la nature, toute l’histoire, et il a donné tout son prix à ce monde mobile de phénomènes qui passent, en dégageant la logique intérieure, le progrès rationnel et nécessaire, que peuvent dissimuler aux esprits moins clairvoyants les complications des faits qui s’entrecroisent. Peut-on s’arrêter à la dialectique hégélienne ? est-il vrai qu’on ne puisse lui échapper ? que tous ses termes et toutes ses catégories s’engendrent déductivement ? et qu’elle s’impose avec l’autorité d’une démonstration irrésistible ? On n’échappe pas à la déduction ordinaire, mais cette déduction s’appuie sur le principe d’identité, et dans le principe général est contenue la vérité particulière qu’on en dégage : c’est en quelque sorte une logique d’appauvrissement. La logique de Hegel prétend enrichir l’être de déterminations nouvelles, aller du moins au plus ; elle engendre, elle construit, mais elle n’est plus nécessaire. Plusieurs hommes, partant de principes donnés, pourront déduire les mêmes conséquences par les procédés de la logique, ordinaire ; partant de l’être abstrait, il n’est pas deux esprits qui pourraient retrouver la dialectique hégélienne, les formules et leurs termes antithétiques, les catégories et leur enchaînement. Les lois, que Hegel croit déterminer à priori, il les abstrait de la réalité ; d’après ce qu’il sait du monde, il imagine le plan de la nature, et ses raisonnements sont pleins d’invention et de génie. Aussi n’est-il pas un véritable empirique. Il aborde l’étude des faits avec des idées préconçues ; il ne demande à Inobservation que de vérifier des principes qu’il a tirés d’une expérience incomplète, et il impose à la nature et à l’histoire des formules abstraites qui n’ont de vérité que celle des faits qui les ont suggérées[1].

Exposer le système de M. Vacherot, sans tenir compte de ses antécédents historiques, ce serait étudier la plante après en avoir coupé les racines[2]. Toutes les théories du passé ont traversé son

  1. Tome iii. p. 131-158.
  2. « Ces entretiens sont moins l’exposé didactique d’une doctrine que l’histoire d’une pensée qui a traversé toutes les conceptions, tous les systèmes décrits successivement pour se reposer dans une conclusion définitive. Je ne suis pas le seul qui ait passé par l’inévitable succession des systèmes, par le matérialisme, par le spiritualisme, par l’idéalisme, par l’éclectisme, par la critique, avant d’arriver à une métaphysique vraiment scientifique. » (La métaphysique et la science, Préface.)