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Ch. richet. — de l’influence des mouvements.

paralysés, et cependant chez eux la vision n’a pas complètement disparu. Mais cette lumière provoque alors une sensation indistincte ; car pour la notion complète, exacte, suffisante, des objets extérieurs, il faut une certaine accommodation de l’œil. Lorsque la forme du cristallin, forme que déterminent les contractions du muscle ciliaire, n’est pas en rapport avec la distance des objets, l’image de ces objets ne se fait au fond de l’œil que d’une manière imparfaite, et la vision est confuse. Il y a sensation vague ; il n’y a pas perception nette. De sorte que la perception, ou en meilleurs termes la notion de l’objet extérieur, exige la mise en jeu de l’appareil musculaire annexé à l’organe visuel.

Même lorsque l’accommodation est parfaite, même lorsque l’objet est placé exactement sur le trajet de l’axe visuel, il faut encore des mouvements pour le bien voir. Cela tient à deux causes différentes. En premier lieu, la partie de la rétine vraiment sensible, la tache jaune, est extrêmement petite, de sorte que les dimensions du champ visuel de la perception distincte sont minimes. Ainsi, par exemple, en fixant le regard sur quelques caractères d’un livre imprimé avec la justification de cette Revue, on ne pourra guère voir nettement que quatre pu cinq lettres, six lettres tout au plus. Les autres caractères seront vaguement entrevus, car leur image ne se fait plus sur la tache jaune, mais sur les parties périphériques, beaucoup moins sensibles, de la rétine. Il suit de là que, dès qu’un objet acquiert certaines dimensions, il faut, pour le voir, le parcourir du regard. C’est ce que chacun pratique involontairement sans s’en rendre compte. Qu’on fasse soi-même l’expérience, et on reconnaîtra qu’il est difficile, presque impossible, de bien voir un objet, quel qu’il soit, à moins qu’il ne soit extrêmement petit, si l’on ne promène pas les yeux sur lui. Le regard étant fixé, immuable, sur un objet, il n’y a qu’une vision incomplète et insuffisante. De fait, à chaque instant, les deux globes oculaires se déplacent, et je ne crois pas exagérer en affirmant que jamais ils ne demeurent immobiles même pendant une seconde.

Il arrive même un fait assez remarquable : c’est que, lorsqu’on fixe un objet sans déplacer le plus légèrement du monde l’axe visuel et sans fermer les paupières, au bout de quelques instants la vision de cet objet devient singulièrement confuse. Il est presque impossible de conserver longtemps la sensation précise d’un objet qu’on regarde fixement. Bientôt il se perd dans le brouillard : un nuage semble l’obscurcir. Il faut alors, si on veut le voir distinctement, fermer les paupières, ce qui change à la fois la tension du muscle ciliaire et l’état de resserrement (ou de dilatation) de l’iris.