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ouvre ou je les allonge ; je perçois des sensations internes, peut-être les battements de mon cœur, peut-être les pulsations de mes artères. Ces sensations peuvent même devenir fortes au point de me distraire et de détacher mon attention de la chose que je fais. Quels sont donc les phénomènes internes dont je n’ai nulle conscience ? les mouvements de circulation, de sécrétion, d’élaboration, de rénovation ? Soit ; mais un état maladif suffira souvent pour que j’en aie le sentiment, sinon la perception. Changeraient-ils subitement de nature ? Le mot attention n’a pas, on le voit, une signification absolue, précise et déterminée. Il y a tous les degrés imaginables entre l’attention et l’inattention. Dans un tableau, l’œil se sent attiré par les clairs, mais il distingue aussi plus ou moins bien les demi-teintes et les obscurs.

L’attention est donc le résultat d’un état différentiel. Elle est plus ou moins attirée sur les impressions d’après leur degré comparatif de vivacité. Le roulement d’une voiture dans le lointain passera pour vous inaperçu au milieu des bruits du jour ; il vous fera dresser l’oreille dans le silence de la nuit. Cependant la vivacité d’une impression ne tient pas toujours, comme dans cet exemple, à des causes physiques ; elle peut dépendre de causes psychiques qui ont toutes leur principe dans la volonté. La nature de mon sujet ne m’invite pas à traiter longuement de l’influence de ce facteur. Je dois pourtant en dire quelques mots.

C’est involontairement que notre attention est provoquée par l’éclat du tonnerre ; mais c’est volontairement que le médecin dirige la sienne sur les souffles de la poitrine du malade, si peu perceptibles aux profanes. L’attention est une espèce d’instrument qui rapetisse les grandes choses et grossit les petites. Voyez cet accordeur de piano. La pièce où se trouve l’instrument est pleine de monde ; c’est l’heure du repas ; les parents causent, les enfants rient, la servante entre, sort, apporte ou enlève les plats ; c’est à peine si l’on se comprend d’un bout à l’autre de la table. Lui cependant est là attaché à son clavier ; il en fait résonner les cordes chacune à son tour, et il n’entend que le son qu’elles rendent ; il l’analyse, l’évalue, le hausse, le baisse jusqu’à ce qu’il soit au diapason. Son oreille, si sensible, si fine, si délicate, est fermée au tapage assourdissant qui se fait à deux pas de lui. Parlerai-je de ses autres sens ? Ils sont, pour ainsi dire, oblitérés : son âme a concentré sur un seul point toute sa sensibilité[1].

  1. J’ai déjà pensé à mesurer le pouvoir de la volonté par ses effets sur l’attention ; mais le temps et la décision m’ont manqué jusqu’ici. On installerait, par exemple, à une certaine distance l’un de l’autre et dans des conditions