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delbœuf. — le sommeil et les rêves

les faits de mémoire, puisque ce sont des renouvellements d’un savoir autrefois acquis. Mais elles en diffèrent en ce que la réminiscence et le souvenir sont l’objet de l’attention, tandis que les actes habituels tendent à passer et passent souvent inaperçus. La distinction entre les uns et les autres a donc sa raison d’être, non dans une réalité, mais dans une circonstance extrinsèque.

Le lecteur n’a pas oublié la distinction faite par M. Stricker entre le savoir potentiel et le savoir actuel. Le savoir potentiel comprend toutes les choses que l’on sait et que l’on peut retrouver au besoin ou à l’occasion. Le savoir actuel, c’est ce à quoi l’on pense présentement, c’est ce qui est l’objet de l’attention. Il ne forme qu’une faible partie du savoir potentiel. Le mathématicien, même quand il calcule, ne peut jamais appliquer sa pensée, dans un moment donné, que sur un très petit nombre des formules qu’il connaît.

Au lieu des termes attention et inattention, on se sert parfois de ceux de conscience et d’inconscience, et l’on dit que le savoir actuel est conscient et que le reste du savoir potentiel est inconscient. Cette confusion de termes n’est pas sans offrir certains inconvénients, la conscience dont il s’agit ici n’étant pas le sentiment explicite de la réalité du monde extérieur[1]. Ces mots conscient, inconscient ne désignent pas de nouveaux attributs de ces deux espèces de savoir ; ils expriment au fond exactement la même chose que les termes d’actuel et de potentiel ; mais, dans la forme, ils énoncent u ne opposition et impliquent une évaluation comparative.

Or, entre l’attention et l’inattention, il n’y a pas une opposition radicale. On ne peut dire où s’arrête l’une, où commence l’autre. Elles sont toutes deux susceptibles de plus et de moins. À parler rigoureusement, l’inattention devrait être le zéro d’attention ; or il est contestable que ce zéro existe, et, pour ma part, je ne le crois pas. En ce moment, par exemple, je pense et je cherche à donner à ma pensée une forme claire et précise. Cet objet est certainement au premier plan et attire tout particulièrement mon attention. Mais, en même temps, ma plume court sur le papier, je conduis ma main, je forme mes lettres, et j’applique les règles de la grammaire française. Toutes ces actions sont au second plan, et pourtant elles sont bien présentes à mon esprit. Il y a plus : je reste en communication avec le monde extérieur ; j’entends le roulement des voitures dans la rue, le tintement de la sonnette qui annonce une visite, des bruits au-dessus et au-dessous de moi, le tic-tac de la pendule. Je sens aussi de petites gênes dans mes muscles : tantôt je croise les jambes, tantôt je les

  1. Voir 1re et 2e partie, oct. et nov. 1879, pp. 334 et 497.