Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome IX, 1880.djvu/438

Cette page n’a pas encore été corrigée
428
revue philosophique

veille tout cela à la fois. L’étincelle, comme le fluide électrique, a suivi les lignes de moindre résistance, guidée sans doute aussi par certaines influences qu’il est impossible non seulement de calculer, mais de saisir. Tous les endroits qui se sont trouvés sur son passage à travers les feuillets de l’atlas se sont illuminés, et enfin toute une carte a été en un certain moment inondée dé lumière.


II. — Le souvenir.


Examinons maintenant comment l’état passé peut se reproduire comme passé. Ce point est capital. Le nom de l’Asplenium s’était ravivé dans mon esprit. Au premier instant, je crus y voir un produit de ma faculté créatrice. J’aurais pu m’en tenir à cette opinion, même quand j’ai su que le nom était réel. La coïncidence eût été des plus singulières ; mais la chose n’est pas absolument impossible. Je fus certain du contraire quand j’eus découvert la source d’où il m’était venu. Tout souvenir implique donc la reconnaissance du passé comme tel ; c’est en quoi il diffère de la réminiscence. « Il ne suffit pas pour nous ressouvenir de quelque chose, dit Descartes, que cette chose se soit autrefois présentée à notre esprit, qu’elle ait laissé quelques vestiges dans le cerveau, à l’occasion desquels la même chose se représente derechef à notre pensée ; mais, de plus, il est requis que nous la reconnaissions lorsqu’elle se présente pour la seconde fois. Ainsi, souvent il se présente à l’esprit des poètes certains vers qu’ils ne se souvenaient point avoir jamais lus en d’autres auteurs, lesquels néanmoins ne se présenteraient pas à leur esprit s’ils ne les avaient pas lus quelque part » [1].

Sur ce point, il n’y a pas de doute. Mais il n’est pas aussi facile de faire voir en quoi consiste la reconnaissance et comment elle est possible. Il faut lire dans Garnier le chapitre[2] qu’il consacre à ce sujet : « Pour reconnaître un objet, dit Descartes, il faut que, lors de la connaissance primitive de cet objet, j’aie jugé qu’il était nouveau. » Mais, pour juger qu’un objet est nouveau, continue Garnier, il faut qu’on le compare à d’autres qui sont jugés avoir été déjà connus. Or la question est précisément de savoir comment nous jugeons qu’un objet nous a été déjà connu. » Il dirige ensuite sa critique victorieuse contre Condillac et Hume, qui « ont voulu expliquer la différence de la connaissance primitive et de la mémoire par une différence de vivacité entre les deux phénomènes… Mais Condillac se

  1. Œuvres philosoph., éd. Ad. G., t. IV, p. 204.
  2. Traité des facultés de l’âme, 2 e édit. Hachette, 1865. Lib. VI, chap. VI, tome 2e, page 152 et suiv.