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delbœuf. — le sommeil et les rêves

retrouver sa première rédaction. Quelle n’est pas sa surprise de reconnaître presque mot à mot, et avec les mêmes phrases, ce qu’il croyait avoir récemment inventé[1] ! Chaque jour, pareille chose m’arrive. J’ai oublié que j’ai déjà développé un point qui s’offre de nouveau à mon esprit, et, sans m’en douter, j’écris pour la seconde fois la même page. Que de réminiscences se cachent sous les idées en apparence les plus originales !

Le sentiment affectif qui répond à une disposition moléculaire donnée, c’est l’idée, c’est-à-dire l’image intérieure de l’ensemble des causes externes qui ont amené les connexions périphériques. Quelle que soit l’opinion que l’on professe sur les rapports du physique et du psychique, que l’on consente ou que l’on se refuse à y voir un seul et même ensemble de phénomènes considéré sous deux aspects différents, l’aspect externe et l’aspect interne, toujours est-il que ces rapports sont extrêmement étroits.

D’abord, quant aux idées sensibles, telles que celles de froid ou de chaud, de son, de forme, de couleur, un peu d’attention vous permet de remarquer qu’elles répondent à une manière d’être du corps. L’idée d’une chute en plein hiver dans une rivière glacée vous fait courir un frisson dans le dos. L’idée d’un mets succulent vous fait venir l’eau à la bouche ; vos mâchoires cessent d’être oisives ; et, si vous accentuez ces mouvements en quelque sorte instinctifs, vous donnerez à l’idée plus de relief et de vivacité. Rappelez-vous un ut de poitrine, et le larynx fait un effort comme pour élever la voix. Représentez-vous un dessin, et l’œil en suit fictivement les contours. Pensez à une vive lumière, et la pupille se contracte. L’expérience a établi que l’idée continue d’une couleur brillante fatigue le nerf optique.

On opposera les idées abstraites. La même définition leur est applicable. Avec le temps, l’homme a substitué le signe à l’idée, et les mots sont devenus les véhicules de ses pensées. Or les mots sont exprimés par des sons ou par des caractères ; de sorte que l’idée, par exemple, du devoir, est associée à certains mouvements du larynx, et ces mouvements sont eux-mêmes associés à toutes les dispositions où je me trouvais chaque fois que l’on m’a parlé du devoir. L’idée tient donc à des relations périphériques déterminées et à des liaisons entre les diverses couches périphériques. C’est, en tout état de cause, une sensation vive, si l’objet est présent, plus ou moins affaiblie, si l’objet est absent.

Réciproquement, l’attitude du corps provoque dans l’âme un sen-

  1. Ouvr. cité, note D, p. 431.