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delbœuf. — le sommeil et les rêves

qui vive ! quand quelque chose de suspect frappe son oreille ou ses regards, l’organe permanent a une mission plus élevée : il se porte aux avant-postes, il bat le terrain, prévient le danger, va à la découverte de positions avantageuses, et acquiert pour ces fonctions une habileté de jour en jour plus consommée. Voyez ce que sont aujourd’hui l’aile de la chauve —souris, l’oreille du chat, le nez du chien, l’œil du condor. L’organe permanent, par cela même qu’il est permanent, se perfectionne ; l’organe adventice est forcément stationnaire. Qu’est-ce, au fond, que se perfectionner, sinon mettre à profit l’expérience. À cet effet, il faut être doué de mémoire et savoir relier au présent, non pas le passé immédiat seulement, mais tout le passé. C’est ce que fait l’organe permanent. Il est le siège de la persistance des impressions, il est le pivot sur lequel tourne l’existence psychique de l’être, il est la raison de son unité dans le temps.

Là ne s’arrêtent pas les effets de la création d’un organe permanent. Sa naissance est le premier pas de l’organisme dans la voie de la division du travail. L’organe, en effet, vise à appeler à lui la plus grande part de la sensibilité auparavant disséminée dans toute la substance corporelle — l’œil, l’oreille sont cause que le reste de la périphérie est devenu presque totalement insensible à la lumière, au son ; — il acquiert ainsi une grande prépondérance, et il finit par soumettre à sa discipline le corps entier. Déjà, certes, l’organe adventice, qui a été suscité par un changement survenu dans le milieu et qui est attiré ou repoussé dans un certain sens, entraîne après lui les molécules voisines, qui, si j’ose le dire, ne savent encore de quoi il s’agit ; et, de proche en proche, il range sous son autorité toute la substance sensible. Mais ce rôle de chef qu’il usurpe pendant un instant, il l’abandonne bientôt et le passe à un autre. Il est l’élu des circonstances ; viennent-elles à cesser, il rentre dans l’obscurité et l’insignifiance d’où elles l’avaient tiré. L’organe permanent occupe une position stable. En vertu de sa plus grande irritabilité, les tiraillements qu’il exerce autour de lui sont bien autrement étendus et efficaces ; les molécules sont continuellement et vivement sollicitées à obéir à ses injonctions réitérées, et elles finissent par nouer avec lui des relations constantes. À la longue, son ascendant devient tel, qu’il lui suffit d’un signe pour être compris dans tous les rangs. Elles arrivent même à pressentir sa volonté et à exécuter ses ordres avant qu’il les donne. C’est ainsi que les paupières se ferment d’elles-mêmes pour s’opposer à l’entrée d’un grain de poussière qu’on n’a pas eu le temps de voir. Il y a donc, par son fait, des liens puissants établis entre tous les éléments sensibles. Ces liens, résultat d’actions répétées, constituent des habitudes, et à chaque exci-