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quelque part en dehors de lui une rupture d’équilibre. Le mouvement qui en sera la suite finira par atteindre sa périphérie et la frappera en un certain point. D’impressionnable qu’elle était, elle commencera à être impressionnée. Pendant un temps appréciable, l’impression restera localisée, car sa propagation, rencontrant des résistances dans la constitution primitive de la substance sensible, ne s’étendra pas instantanément à tous les points. Or, pendant tout ce temps, l’être sera à la fois dans l’état où il se trouvait avant l’entrée en scène de la cause impressionnante et auquel on peut déjà donner la qualification de passé, et dans l’état nouveau qu’elle fait naître en lui et qu’on peut appeler présent. J’ai donné à cet endroit où se fait d’abord sentir l’action de la cause extérieure, le nom d’organe adventice instantané de sensation[1].

Les animaux placés au plus bas de l’échelle des organismes, les monères par exemple, n’ont pas d’autres organes. Comme le milieu dans lequel ils vivent n’est naturellement jamais en repos, on peut dire de leur périphérie qu’elle est le siège d’une formation incessante d’organes instantanés de sensations. Deux mots d’éclaircissement. Voici un être sensible à la chaleur. Cet agent, pour la perception duquel nous n’avons pas d’organe spécial, est bien propre à nous faire saisir le caractère et le rôle de l’organe adventice. Représentons-nous cet être plongé dans un milieu d’une température uniforme : il n’éprouve aucune sensation. Un foyer de chaleur s’allume dans son voisinage : sa périphérie va en être affectée. Cependant, toutes choses égales, la modification se fera d’abord sentir au côté tourné vers le foyer. Il faudra du temps pour que la rupture d’équilibre qui en est le signe, gagne de proche en proche toutes les molécules et leur fasse prendre un arrangement définitif répondant de tout point à la constitution du milieu. Pendant tout l’intervalle qui s’écoule entre le commencement et la fin de ce processus, l’être est soumis à un contraste, et c’est ce contraste même qui sert de mesure à la sensation. La loi logarithmique de Fechner, interprétée psychologiquement, nous montre en effet que la sensation est l’expression d’un rapport entre l’état actuel de l’organe et l’état immédiatement précédent[2].

Ce n’est pas tout de sentir ; il faut savoir diriger ses mouvements ensuite d’un jugement sur la constitution du milieu. Les organes adventices servent de guides à la volonté ; leur fonction est ainsi intimement liée à cette faculté qu’on a appelée l’instinct de con-

  1. Théorie générale de la sensibilité. Liège et Bruxelles, 1875.
  2. Voir Revue philosophique, mars 1877, janvier et février 1878.