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b. pérez. — développement du sens moral

sociabilité, qui est le germe du vrai remords ? Lorsqu’une défense lui a été faite par ses parents, mon neveu, âgé de trois ans, y pense quelquefois toute la journée. C’est là une heureuse disposition, qui doit se perfectionner par les expériences successives, et qui, le raisonnement se fortifiant, arrivera aisément à cette sorte de sens moral abstrait, qui s’exerce si souvent indépendamment des circonstances particulières, et qui fournit les meilleurs motifs à la discipline personnelle.

Ainsi, cette expérience personnelle, que l’on peut considérer comme une accommodation de l’enfant à son milieu physique, animal et social, le blâme et l’approbation, apprennent à l’enfant à apprécier un certain nombre d’actes. Ce sont là des leçons de morale toutes réalistes, et qui laissent trace. Je n’en connais pas de plus solides pour l’enfant. C’est dire que je n’accorde pas grande confiance à la morale enseignée par les récits, les fables et les contes. Je sais bien que l’imagination de l’enfant le rend apte à se représenter vivement les incidents et les situations fictives qu’on lui cite comme exemples, et d’où l’on tire pour lui des leçons morales. Mais les leçons se rattachant directement aux incidents de la vie réelle ne l’intéressent-elles pas au moins autant, et ne les voit-il pas sortir comme sous ses yeux des faits eux-mêmes ?

J’admets, même pour les enfants de trois ans, réunis en classe, ces causeries maternelles dont Frœbel et Mme Pape-Carpentier ont laissé de si parfaits modèles. L’attention générale suspendue aux lèvres du narrateur, et ce silence même d’une classe tout entière attentive, est un puissant élément d’attrait, d’intérêt. Encore ne suis-je pas sûr que cet intérêt soit toujours pour tous ce que le maître pense, qu’il ne se porte pas surtout sur certains détails du récit, sur la voix même, le visage et les gestes du narrateur, et que l’imagination excitée à prendre son essor ne vagabonde pas souvent bien loin du lieu où on la suppose. Ainsi les vérités morales que la maîtresse veut graver dans le cœur des enfants, les exemples saisissants, les conclusions frappantes, passent souvent, et en dépit de la répétition, à côté d’eux.

Ce danger est plus rarement à craindre avec les leçons morales qui se tirent des récits quotidiens, faits surtout par l’enfant, ou avec sa collaboration, des incidents de sa propre vie. Je ne condamne donc pas absolument pour l’enfant, même jusqu’à trois ans, les récits moraux ; mais je conseille plutôt aux parents, comme exercices de narrations intéressantes et morales, les anecdotes dont l’enfant est le héros, le témoin et le narrateur. Presque chaque journée de l’enfant peut, si l’on veut, fournir matière à ce genre d’historiettes