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b. pérez. — développement du sens moral

vieux mendiant sous une porte cochère, elle s’arrêta, mit un sou dans la main de son enfant, et, le tirant par le bras, lui dit : « Donne à ce pauvre homme. » Le petit, qu’effrayaient le visage et l’accoutrement du misérable, recula d’abord avec une horrible grimace, se colla contre les jupes de sa mère, et lui remit le sou dans la main. Les choses se seraient-elles passées de la même manière, si l’on avait dit à l’enfant de donner quelque chose à une personne d’un extérieur agréable, d’un visage aimable et souriant ? Je ne le suppose pas. C’était donc là une mise en scène hors de propos, un moyen allant contre le but, une impression qui ne devait laisser qu’une impression pénible et point morale. Une mère qui voudra donner l’exemple de la bienfaisance à un enfant de cet âge, et même à un enfant plus âgé, devra recourir à d’autres pratiques ; elle pourra, par exemple, faire la charité devant l’enfant, non pas avec des sous, dont l’enfant ne comprend pas le véritable usage, mais avec des vêtements, de la nourriture, du charbon, des remèdes, des objets de première nécessité, et surtout accompagner ses dons de bonnes paroles ; l’enfant les comprendra, s’intéressera à ces actions, perdra l’habitude de s’effrayer à la vue des pauvres gens, les observera, questionnera sur leur compte, et comprendra peu à peu, et à sa façon, la vertu de bienfaisance.

Combien mieux avisée cette autre mère qui, ayant plaint un ramoneur devant son enfant âgé de deux ans et demi parce qu’il était très pauvre, s’entendit faire cette question : « Pourquoi tu as dit qu’il est pauvre le petit ramoneur ? » Elle répondit : « Parce qu’il travaille tous les jours, qu’il prend beaucoup de peines et qu’il n’a pas, comme toi, une bonne mère pour lui donner de quoi manger, pour l’habiller, le caresser et s’amuser avec lui. — Alors, quand on est pauvre, on est bien malheureux. Oh ! oui, bien malheureux ! Maman, je voudrais lui donner une tartine et un autre pantalon, veux-tu ? Une sera plus pauvre. » Ou je me trompe fort, ou de semblables leçons, faites à propos, avec discrétion et mesure, préparent à l’enfant un riche fonds d’imagination symphatique et bienfaisante.

Il en est ainsi pour toutes autres qualités morales. Il faut raisonner le moins possible avec les enfants, mais les amener à raisonner eux-mêmes, par des moyens sensibles et appropriés à leur intelligence, sur la nécessité de bien faire. Encore ne faut-il pas considérer comme un progrès pour leur moralité leur faculté de raisonner juste certains actes. Le plus sûr est de dire : Fais ceci ! ou bien : Il faut faire ceci, et non dire : Il faut faire ceci pour tel motif. Les raisons d’un acte à faire, d’un sentiment à montrer ne sont rien, si l’on n’éveille le désir de faire cet acte ou de montrer ce sentiment. Le plaisir de la nouveauté peut donner de l’attrait à une leçon de morale, mais autant