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qu’on peut utiliser, mais en usant de précaution. Quelques qualificatifs de ce genre avertiront l’enfant d’éviter certains actes qui ont été déjà faits ou qu’il serait sur le point de faire. C’est ainsi que le simple mot hum ! prononcé d’un ton énergique, arrête mes chats sur le point de faire leurs ongles à un meuble ou leurs ordures devant ma cheminée. De même, beaucoup d’enfants, à l’âge d’un an et même auparavant, s’arrêtent souvent à l’audition du mot vilain, quand ils vont se salir, désobéir, malmener un objet, ou se mettre en colère. Le mot joli produit le même effet sur eux, pour les encourager à bien faire ou les exciter à ne pas mal faire. Un simple geste, un regard, remplaceront aussi, en bien des cas, des moyens de discipline plus sensibles, surtout vers l’âge de quinze ou seize mois.

Toutes ces expériences diverses, jointes à un développement de la sensibilité plus ou moins bien favorisé par les circonstances, et aux progrès de l’intelligence si rapides pendant cette période, ont déjà développé cette espèce de sens moral concret que presque tous les observateurs de l’enfant lui ont reconnu. À douze, treize, quatorze ou quinze mois, il se montrera souvent égal et parfois supérieur à ce que nous paraît être l’animal. Après tant d’intéressants travaux sur l’intelligence animale, on ne peut, en effet, douter que les germes du sens moral, au moins sous une forme spéciale, ne se rencontrent chez les animaux domestiques. « Étant allé, dit M. Romanes, dans la maison d’un ami, j’avais renfermé un terrier dans ma chambre. Furieux d’avoir été laissé à la maison, il mit les rideaux en lambeaux. À mon retour, il m’accueillit avec joie. Mais, dès que je ramassai les lambeaux et que je les lui présentai, l’animal se mit à hurler et à gémir en s’enfuyant vers l’escalier. Le fait est d’autant plus remarquable que l’animal n’avait jamais été châtié. Je ne puis donc y voir qu’un certain sentiment de repentir[1]. » À l’âge dont il est ici question, l’enfant présente des cas analogues. On avait plusieurs fois défendu au jeune Tiedemann « de rien toucher des choses mangeables que ce qui lui était expressément donné, sans| pourtant l’effaroucher à cet égard. Il avait attrapé, sans être vu, un petit morceau de sucre ; il se glissa alors dans un coin où. l’on ne pouvait l’apercevoir ; on ne savait ce que cela signifiait, on chercha et on le trouva mangeant du sucre. » Il ne faut pas voir ici, de l’aveu même de l’auteur, rien qui ressemblât au remords de mal faire ; « c’était simplement, dit-il, la réflexion qu’il pourrait manger, si on ne le voyait pas, le sucre, qu’on reprendrait sitôt qu’on s’en apercevrait. » Il n’en

  1. Cité par la Revue philosophique, nov. 1878, p. 503.