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b. pérez. — développement du sens moral

permis ou défendu, est, à cet égard aussi, toute matérielle et concrète au début : c’est l’idée de tel ou tel traitement associée à l’idée de telle ou telle action. On comprend la faillibilité de ce sens moral rudimentaire. Il arrive qu’une même chose est tantôt licite et tantôt ne l’est pas, et cela explique souvent des hésitations ou des manquements qui ne sont pas toujours l’effet du mauvais vouloir. Et puis, l’enfant est élevé par plusieurs personnes, qui ne s’accordent pas toutes dans leurs prescriptions, ou qui n’ont pas la même autorité pour les soutenir. Ajoutons que l’enfant est d’une nature très impulsive, que chez lui l’acte suit de près son stimulus, et que, si l’image de la sanction ne se présente pas aussitôt que l’idée de l’acte à faire, si elle ne le domine pas entièrement, l’enfant agit contrairement à nos désirs, et même contrairement à ses habitudes. De là vient que, changeant de milieu, il change incontinent d’habitudes, sauf à reprendre ses anciennes habitudes, aussitôt revenu dans son milieu ordinaire.

Toutes ces considérations doivent nous convaincre de la nécessité d’être fermes et patients, et surtout toujours d’accord avec nous-mêmes, dans nos rapports avec l’enfant. Ce qu’on a voulu sérieusement, il faut le vouloir toujours, répéter qu’on le veut, avec une douce persistance. L’enfant, qui se trouve si longtemps à notre égard dans une complète dépendance, doit se sentir soumis en toutes choses à une puissance indiscutable, mais bien déterminée, qui montre clairement ce qu’elle exige, et ce qu’on doit attendre d’elle si l’on enfreint ses ordres. Ainsi se développe insensiblement son sens moral, qui, d’expériences en expériences, s’étend et se généralise. À dix mois, à un an, il sait qu’il doit cesser de crier, quand on lui dit de se taire, qu’il ne doit pas se salir, qu’il ne doit pas demander ce qu’on lui refuse, qu’il faut tendre la main ou sourire aux personnes quand on lui dit de le faire, qu’il ne doit pas pleurer quand on le lave ou qu’on ne s’empresse pas de le lever, de le changer de place, de le promener, etc.

L’enfant, à peine âgé d’un an, fait une moue caractéristique, non seulement pour avoir entendu le mot de vilain, de méchant, de malpropre. Sans doute ce mot éveille en lui l’idée de ton irrité, de visage lâché et de gestes menaçants : c’est là ce qui doit lui causer cette peine si évidente. Mais toujours est-il que le mot de vilain s’est jusqu’à un certain point substitué à toutes ces marques de mécontentement : c’est un pas de fait dans le monde de l’abstraction. De plus, l’idée exprimée par un mot s’est étendue à celle d’un petit nombre d’actes ; c’est un terme qui lui sert à les apprécier, un qualificatif déjà passé au général. C’est là un progrès du sens moral,