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g. séailles.philosophes contemporains

nombre infini d’éléments : la raison est aveuglée par cette poussière d’êtres : pour elle, toutes les divisions de l’espace et du temps s’évanouissent, il n’y a pas plus d’astres que d’atomes, tout s’identifie et s’unifie dans l’absolu, dans l’être universel, dont la continuité sans fin s’impose à la raison, malgré l’épouvante de l’imagination saisie de vertige. L’univers n’est intelligible qu’à la condition de former ainsi un système logique, dont toutes les propositions enchaînées l’une à l’autre trouvent leur unité dans un principe suprême, que l’expérience ne peut révéler, parce qu’il la dépasse infiniment, mais que la raison saisit par une intuition directe, parce qu’il est cette raison même. Si vous construisez l’universel d’individus isolés, vous n’expliquez ni l’individu ni le tout, vous n’arrivez qu’à un système ruineux, fait d’êtres distincts, dont l’égoïsme en révolte menace sans cesse de tout disperser ; pour comprendre et le tout et l’individu, ne les séparez pas ; le principe n’existe qu’avec et par ses conséquences ; les conséquences ne sont rien sans le principe. L’idéalisme ne va pas toujours jusqu’au panthéisme, toujours il y tend. La nature et Dieu s’impliquent logiquement comme les notions qui les représentent à la pensée ; l’œuvre de l’esprit est de retrouver cette géométrie vivante dont les déductions sans fin remplissent l’éternel et l’immense : la science est déductive et à priori, ou elle n’est pas. L’intelligible en nous est devenu l’intelligence, et dans l’enchaînement de nos idées nous devons retrouver l’enchaînement des choses. Ordo et connexio idearum idem est ac ordo et connexio rerum. Ainsi la science est dans l’esprit, la raison est la lumière qui l’y découvre, et l’effort dialectique est le mouvement par lequel cette lumière se projette sur toutes les parties de l’univers idéal, qui ne se distingue pas de l’univers réel[1].

Ne sommes-nous pas enfin au terme du voyage ? Pour aller à l’intelligible, nous n’avons pas à sortir de nous-mêmes : il est en nous et nous sommes en lui ; apprenons seulement à regarder et à supporter l’éclat de la pure lumière. L’idéalisme est la doctrine des grands esprits d’autrefois ; tous en ont subi la séduction : Pythagore, Platon, Plotin, dans l’antiquité ; Descartes, Malebranche, Spinoza, dans les temps modernes. Et l’on comprend la tentation : l’homme, faible et chétif, occupe dans l’espace et dans le temps un point imperceptible ; il semble emprisonné dans l’étroit horizon qui limite son regard, il est d’une petitesse éblouissante, et voici qu’à regarder en lui, par je ne sais quel mirage, toutes limites ayant disparu, il découvre l’éternel et l’immense ; voici que son esprit grandit en s’éclairant

  1. Tome i, p. 238-270.