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celles de métal attirées par un aimant viennent s’ordonner autour des deux pôles. Qu’il s’agisse de justice, qu’il s’agisse de fraternité, qu’on ait à organiser la pénalité à l’égard des individus ou la réparation à l’égard des torts collectifs, que l’on demeure dans les principes généraux dont nous avons voulu nous occuper exclusivement, ou que l’on préfère passer (comme nous le ferons peut-être nous-même par la suite) de la théorie aux conséquences pratiques et politiques, — suffrage universel, instruction populaire, assistance publique, rapports du travail et du capital, associations, etc., — on retrouvera partout les deux notions d’organisme et de contrat unies par le lien des idées-forces. Ainsi, quand on brise l’aimant en fragments de plus en plus petits, on retrouve encore en chacun les deux pôles, parce que toutes ses molécules offrent la même orientation, parce qu’elles sont coordonnées dans le même sens, par la même force qui circule à travers le tout.

C’est que le régime contractuel, s’organisant par sa propre vertu et par sa propre conscience, réalise seul l’équilibre des deux principes entre lesquels l’humanité fut toujours comme oscillante, tendant plus ou moins vers l’un sans vouloir jamais abandonner l’autre : liberté et solidarité, en d’autres termes, individualité et collectivité. La doctrine de l’organisme contractuel est un libéralisme poussé à son plus haut degré, puisqu’elle a pour idéal de ne rien demander aux individus qu’ils n’aient accepté librement et avec conscience ; mais d’autre part elle est, au vrai sens du mot, un socialisme bien entendu et rationnel, puisque l’objet qu’elle poursuit par la voie même de la liberté est une organisation sociale où toutes les parties soient solidaires, unies entre elles et unies au tout, animées d’une même pensée comme un corps vivant que semble nourrir le même esprit intérieur : spiritus intus alit. En un mot, c’est à l’humanité qu’il appartient de faire, dans l’ordre social, la synthèse des deux principes répandus dans l’univers : vie et conscience, ou, si l’on préfère, mouvement et pensée. Ces deux principes sont identiques sans doute en leur intime essence, et leur identité se révèle dans la force motrice qui appartient chez l’homme à la pensée même, si bien que l’idéal de l’humanité ou de la société parfaite s’imprime le mouvement et la vie en se pensant avec une conscience de plus en plus claire. Les mêmes lois qui ont produit les mondes et les constellations produisent donc les sociétés humaines, avec cette différence que ce qui était dans les uns lumière extérieure et mouvement fatal devient dans les autres lumière intérieure, conscience et mouvement volontaire.

Alfred Fouillée.