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fouillée. — vues synthétiques sur la sociologie.

deux nouvelles conséquences se déduisent toujours du même principe : je veux dire le caractère à la fois organique et contractuel de l’État. D’une part, puisque la société est un organisme, le membre qui, dans ses relations avec les autres membres, tend à dissoudre l’organisme même, doit être réprimé, et réprimé proportionnellement au caractère plus ou moins dissolvant de l’acte antisocial. D’autre part, puisque la société est un organisme contractuel, la justice pénale doit être, elle aussi, une justice contractuelle. La peine doit être acceptée d’avance, fixée même indirectement et médiatement par celui qui la subit : tel est du moins l’idéal. C’est donc au nom du contrat librement accepté qu’on doit juger l’individu qui s’est montré infidèle à ce contrat même ; ce n’est pas au nom d’un principe mystique d’expiation, pas même au nom de la prétendue sanction morale. Le « droit de punir » se réduit pour nous au droit de défense et de réparation, c’est-à-dire au droit d’exiger l’accomplissement 1° du contrat social, 2° des fonctions sociales sans lesquelles le grand organisme ne saurait subsister[1].

Ce ne sont pas seulement les torts individuels, mais encore les torts collectifs qui exigent réparation ; il y a des injustices accomplies par la société entière et dont les effets subsistent à travers les siècles : la solidarité des générations entre elles exige que ces effets de l’injustice soient annulés et compensés. Ce qu’on appelle la charité publique nous paraît se ramener à une pure justice, que nous nommons justice réparative[2]. Cette solidarité dans la réparation du mal se déduit à la fois, comme tout le reste, des clauses du contrat social et des conditions de l’organisme social. En premier lieu, le contrat nous oblige, en entrant dans la société, à accepter les charges ou les dettes non moins que les avantages communs ; en second lieu, les lois de l’organisme imposent la même nécessité à chaque membre du corps politique. La justice réparative n’a d’autre but que de rétablir les conditions normales de l’organisme contractuel lorsqu’elles ont été altérées, pour certaines classes ou pour certains individus, par des causes imputables à la société tout entière. Une fois ce principe posé, on voit rentrer dans le domaine de la justice réparative les œuvres de bienfaisance et d’assistance publique, les services publics, l’instruction donnée gratuitement par l’État, obligatoire pour tous, professionnelle et civique.

  1. Voir Revue des Deux-Mondes, 15 novembre 1879. La liberté et le déterminisme, 1re  partie. La Science sociale contemporaine, livre IV.
  2. Voir Revue des Deux-Mondes, 15 janvier 1880, et Science sociale contemporaine, livre V.