Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome IX, 1880.djvu/395

Cette page n’a pas encore été corrigée
385
fouillée. — vues synthétiques sur la sociologie.

ganisme sous la forme d’habitude. Qu’elle se transmette ensuite par l’hérédité à d’autres individus, elle deviendra instinct. Or ce qui se passe dans l’organisme individuel se passe aussi dans l’organisme social. Ce qui y avait été d’abord l’objet d’une convention explicite et d’un contrat formel finit par être implicite et comme sous-entendu ; l’involontaire y subsiste et s’y transmet d’âge en âge comme un effet de la volonté même. La société ne remet pas sans cesse tout en question, bien qu’en somme elle soit libre de le faire ; mais pourquoi le ferait-elle sans raison valable ? Elle porte sa volonté sur des questions nouvelles et sur des choses de plus en plus élevées, comme l’individu profite des habitudes acquises pour consacrer son attention à des idées plus importantes ; elle commence par accepter en bloc tout ce qui est acquis, en se réservant d’ailleurs le droit d’examen et de révision, comme l’individu en naissant accepte son corps, sauf à essayer de le perfectionner par une bonne hygiène, comme chacun de nous accepte sa vie passée, ses souvenirs, ses acquisitions de toute sorte, en un mot son cerveau avec tous ses plis formés et tous ses replis. C’est là un capital qui permet de travailler à des choses supérieures, de même que la provision pour la faim, la soif et les besoins physiques permet de cultiver Part ou la science pure, de réaliser ce superflu qui n’est souvent qu’une nécessité plus haute et plus intellectuelle. Ainsi entendu, l’involontaire est encore de la volonté emmaganisée ; l’inconscient est le trésor de la conscience, où elle peut toujours puiser et dont elle peut toujours ramener les richesses à la lumière.

Faut-il conclure de là, comme M. Spencer semble le faire parfois, à une sorte d’immobilisme politique qui, pareil au fatalisme oriental, attendrait tout des lois nécessaires de l’évolution, presque rien des volontés et des conventions humaines ? — Non, ce serait pousser la doctrine à une extrémité que M. Spencer serait obligé de rejeter lui-même ; ce serait revenir au « sophisme paresseux » des mahométans. reproduit sous une autre forme dans maint système fataliste sur la philosophie de l’histoire. Compter sur le destin ou sur la Providence, c’est compter sur des mots ; compter sur la nature, c’est sans doute compter sur des choses, mais c’est oublier que la force de nos idées et de notre volonté fait elle-même partie des forces de la nature, qu’elle entre comme facteur dans la destinée des peuples, que parfois une volonté isolée, — comme celle d’un homme de génie, d’un Jésus, d’un Gutemberg, d’un Christophe Colomb, — peut produire une transformation dans le monde, qu’à plus forte raison des volontés associées en un organisme conscient peuvent s’imprimer à elles-mêmes et imprimer aux autres une accélération de mouve-