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fouillée. — vues synthétiques sur la sociologie.

lution générale. C’est une donnée nouvelle et d’importance capitale dans le grand problème du monde, mais son introduction ne change pas les lois de la mathématique ou de la logique universelle : elle les met seulement au service de l’idée même. Si la science et l’industrie humaine étaient plus avancées, si elles savaient mieux appliquer les lois de la transformation des forces, — lumière, chaleur, action chimique, mouvement, — elles pourraient construire un automate dont les yeux, en recevant les rayons d’une lampe, changeraient la lumière en action chimique, l’action chimique en mouvement de masse et finiraient par imprimer au corps entier une translation vers le foyer lumineux ; l’automate irait alors vers la lumière par cela même que la lumière lui serait présentée. C’est l’image de l’influence déterminante exercée par l’idée sur l’organisme humain, soit dans l’individu, soit dans la société entière : la vision du but à atteindre devient la cause productrice et directrice du mouvement qui nous entraîne vers ce but. La pensée de l’organisme achevé, de l’humanité parfaite, fait mouvoir et croître l’organisme dans le sens de sa propre perfection, comme une plante qui fleurirait par la pensée même de son épanouissement possible. Ainsi se trouvent rapprochées, au point de vue social, les deux conceptions de la vie que Claude Bernard et M. Spencer ont proposées : idée créatrice et croissance naturelle.

Par cela même se trouve aussi résolue une opposition qu’on a souvent établie, depuis Aristote, entre les produits artificiels, parmi lesquels M. Spencer rejette le contrat social, et les produits naturels, au nombre desquels il place l’organisme social. Un produit artificiel est, selon Aristote, quelque chose dont la réalité ne réside que dans la pensée de l’homme, tandis que l’être de nature, l’être vivant, est un être qui a en lui-même le principe de son mouvement, ou encore qui a en lui-même une tendance innée au changement. L’unité de ces deux conceptions se trouve, selon nous, dans celle de l’organisme contractuel. D’une part, la réalité de la société humaine n’existe que dans la pensée de l’homme, car elle n’existe que par cette pensée même, et c’est l’idée du contrat qui engendre l’association ; mais, d’autre part, la pensée a en elle-même le principe de son mouvement : la société est donc, elle aussi, « un être qui a en soi une tendance innée au changement, » un être naturel et vivant. Au point de vue de l’organisme contractuel, le nominalisme et le réalisme ne font qu’un : la société humaine est une conception de l’homme et elle est aussi une réalité. Autre d’ailleurs est l’artifice, autre est l’art véritable ; le premier s’oppose à la nature, le second s’y conforme.