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fouillée. — vues synthétiques sur la sociologie.

devient, et c’est en la concevant de mieux en mieux qu’on l’amène à l’existence, qu’on assure son « intégration. » — Le Grand Être humain n’est pas un être, dit encore M. Spencer. — Non sans doute, répondrons-nous, mais il est une idée et la plus haute de nos idées ; car, en somme, la notion même de Dieu, qui semble d’abord supérieure, redevient inférieure quand on l’examine de près : un Dieu isolé dans sa substance incommunicable et dans son existence prétendue absolue n’est qu’une matière divinisée ; l’unité de Dieu n’est que l’unité substantielle et matérielle du monde ; pour donner à Dieu une valeur morale, nous sommes obligés d’en faire un homme et un homme sociable ou, mieux encore, d’en faire une société d’esprits ayant nos attributs essentiels, en un mot, une cité céleste. Dieu n’est donc que la société idéalisée et érigée en substance éternelle ; il est « l’organisme social » conçu comme arrivé à la pleine conscience de soi. Dès lors, autant vaut dire avec Auguste Comte que le vrai Dieu est l’humanité, ou, si l’on veut, la république universelle des stoïciens. Au delà de cette idée, impossible de remonter pour trouver une idée plus haute ; la conception théologique se résout ainsi, pour la science moderne, en un idéal politique, au vrai sens de ce mot, et on comprend qu’Aristote dans l’antiquité, les positivistes et l’école anglaise dans les temps modernes, aient fait de la morale même une partie de la politique largement entendue comme la science de la société universelle. Or, si l’idée du Grand Être social est la plus haute de toutes et exprime l’idéal même de la pensée, il en résulte qu’elle est vraiment l’idée directrice et aussi l’idée efficace par excellence. Comment alors la partie la plus importante de la méthode ne serait-elle pas celle qui détermine l’idéal suprême pour en déduire ensuite ses conditions d’existence et ses moyens de réalisation ?

En somme, naturalisme et idéalisme, méthode analytique et méthode synthétique, sont également nécessaires à la science sociale, et leur lien est dans la puissance de réalisation naturelle qui appartient à l’idéal même, en vertu de la force psycho-physique des idées. Notre théorie de la liberté individuelle se réalisant peu à peu par la pensée et le désir s’applique ainsi tout entière à la liberté sociale, civile ou politique. Cette réalisation, qui se fait par approximations successives, a pour résultat le progrès simultané de la personnalité chez l’individu et des sentiments impersonnels dans le groupe ; car, plus la vraie vie individuelle est intense, plus la vraie vie sociale augmente aussi d’intensité. La volonté humaine est à nos yeux une force essentiellement expansive, une puissance d’union avec autrui et non d’isolement, de désintéressement et non d’égoïsme, si bien