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fouillée. — vues synthétiques sur la sociologie.

l’idéal de la société humaine, ils le réalisent à tort dans un monde surnaturel, ils se le figurent comme une fin imposée d’avance à notre monde par une puissance absolue, par une providence transcendante ou immanente, et en cela ils sortent du domaine de la science pour changer la philosophie de l’histoire en une partie de la théodicée ; mais les métaphysiciens n’en ont pas moins raison de concevoir un certain système d’idées directrices pour l’humanité, une certaine fin humaine et sociale, sinon universelle. Le substratum commun et pour ainsi dire le résidu de toutes les doctrines théologiques ou métaphysiques, voilé sous les mythes des religions ou sous ces formules abstraites qu’on pourrait appeler les mythes de la logique, c’est un idéal plus ou moins précis de moralité, de liberté, de justice et de fraternité. Or la sociologie positive ne peut elle-même se passer d’un certain idéalisme entendu scientifiquement, qui seul peut donner lieu dans la pratique à une politique de principes et de droit, non plus simplement à une politique de fait et de force. Comment donc se former une conception scientifique de l’idéal et de son influence sur l’humanité ? Il faut pour cela expliquer sa formation et son action par des raisons toutes naturelles. C’est ce que nous faisons en montrant que les idées directrices de la société humaine, par l’impulsion à la fois psychologique et physiologique qu’elles exercent, sont un idéal immanent au déterminisme même de la nature. Les positivistes ont raison de ne voir dans le monde, au point de vue de la science, que la causalité ; mais ils doivent reconnaître qu’il y a dans la société humaine une finalité d’un genre particulier, qui se fait elle-même, se pose et se développe par des moyens naturels. Que l’univers ait ou n’ait pas une fin, l’humanité s’en propose une[1]. Aristote a dit que « la nature ne fait rien en vain », assertion douteuse ; ce qui est certain, c’est que l’homme et l’humanité ne font rien en vain. Y a-t-il dans l’histoire un dessein préétabli ? Pure hypothèse de métaphysique ; mais il y a assurément « un dessein qui se fait », qui s’établit lui-même, et c’est là une vérité scientifique, sans laquelle la sociologie demeurerait une spéculation stérile au lieu de devenir une étude pratique. Nous réconcilions ainsi au point de vue social la causalité et la finalité. La finalité n’est plus que la causalité prolongée, réfléchie dans la conscience ; et cette réflexion sur soi devient une multiplication de soi. Le propre de l’homme est d’être mû par des idées, non plus seulement par des forces purement physiques ou par des instincts aveugles ; or l’idée, en même temps qu’elle est

  1. Voir notre Idée moderne du droit, conclusion.