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sophes, c’est l’abus de la logique, c’est la volonté de tout expliquer par un principe unique, de construire le monde avec les données d’une seule faculté, dont les habitudes d’esprit déterminent le choix. Les physiciens ramènent tout aux sens et sont matérialistes ; les psychologues voient tout à travers la conscience et sont spiritualistes ; par besoin de déduire, les mathématiciens sont condamnés à l’idéalisme. Mais l’univers est plus grand que vos systèmes et fait éclater de toutes parts ces cadres artificiels. Les philosophes ont tort, les hommes ont raison. Le sens commun ne rejette rien, accepte toutes les affirmations des divers systèmes, la matière et l’âme, le monde et Dieu, le fini et l’infini ; il écoute toutes ses facultés, n’ayant pas l’habitude d’en entendre une seule dans le silence de toutes les autres ; il prend quelque chose de toutes les théories, il ne rejette aucune de leurs vérités fragmentaires, et de ces éléments il constitue une philosophie un peu vague qu’on pourrait appeler la philosophie de l’humanité et qui, précisée, satisferait tout esprit, expliquerait toute réalité. Nous sommes les philosophes du sens commun, les interprètes de la raison universelle. »

Et nous, nous demandons quels sont les titres du sens commun ? Entre une erreur ancienne et une vérité nouvelle, a-t-il jamais hésité ? De l’autorité théologique, nous voici tombés à une autorité nouvelle, celle du nombre, aveugle et irresponsable, inquiète des intérêts immédiats, capable de les discerner, indifférente aux spéculations théoriques et désintéressées. La voix du peuple a remplacé la voix de Dieu ; toutes deux sont également dociles aux volontés de leurs interprètes. Le sens commun dit tout ce qu’on veut qu’il dise ; on le tourne à son gré selon le côté des choses qu’on lui présente ; sa complaisance égale sa naïveté ; on lui dicte ses réponses par la manière dont on l’interroge. S’il accepte toutes les idées, c’est parce qu’il ne recule devant aucune contradiction. Contradiction est mauvaise marque de vérité. Il ne suffit pas d’additionner les idées, il faut les concilier. Toute la question est de savoir si nos diverses facultés ne construisent pas des mondes irréductibles. Pour l’imagination, tout est étendue ; pour la conscience, tout est force ; la raison anéantit la réalité phénoménale, ne laisse subsister que la substance infinie ; à l’éclectisme de montrer que le sens commun concilie ces théories contradictoires, en restant fidèle aux lois de la logique[1].

M. Vacherot veut une science de l’absolu : la théologie lui offre les mystères de la révélation divine, l’éclectisme les contradictions du sens commun. Autorité n’est pas science. Le présent nous laisse

  1. Tome i, p. 270-293.