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g. séailles.philosophes contemporains

de ce rapprochement de mots. Dieu a parlé plusieurs fois, autant de fois qu’il y a de religions différentes, et il a eu le malheur de se contredire ; comment se décider ? Ce n’est pas tout : chaque fois qu’il parle, son langage est si obscur qu’on le commente durant des siècles, sans s’entendre, et sa pensée peu précise reste assez claire pour que l’homme y découvre plus d’une erreur. M. Vacherot rejette la théologie. Il n’accepte pas davantage le mysticisme indépendant qui prétend suppléer aux défaillances de la raison par les inspirations du sentiment, et sentir la vérité à sa chaleur quand sa lumière se dérobe. Le sentiment et la raison ne s’opposent pas ; le sentiment passe par l’esprit avant de pénétrer dans le cœur ; le cœur bat en même temps que l’esprit s’illumine. M. Vacherot ne veut même pas que la métaphysique soit un ensemble de croyances raisonnées, un système d’idées vraisemblables en accord avec les lois de l’esprit et les données de la science. La croyance « est un oreiller mobile, qui « se dérobe incessamment à la tète de qui veut s’y reposer ; » elle manque d’évidence, de rigueur et de précision ; elle est, puis elle n’est plus, puis elle reparaît pour disparaître encore, et l’âme s’épuise à suivre les caprices de cette lueur incertaine. Nous voulons la vérité, la lumière qui ne s’éteint pas, qui, toujours pure, toujours égale à elle-même, nous fait une âme à sa ressemblance, limpide et sereine. Il n’y a pas de milieu entre savoir et ignorer : l’évidence ou l’autorité, la raison ou la foi, la science ou la théologie, il faut choisir. M. Vacherot a fait son choix : il rejette la théologie. Ce mépris de la croyance raisonnable est un engagement peut-être téméraire, une prétention au moins hardie de nous éclairer des lumières d’une science incontestable et d’imposer la paix aux esprits, en leur présentant la vérité dans son indiscutable évidence[1].

Le positivisme a tort, la métaphysique existe ; la théologie a tort, la métaphysique doit être une science ; reste à interroger les philosophes contemporains, ceux qui n’ont pas désespéré de la raison. Voici leur réponse : « Les vérités sont trouvées, la vérité ne l’est pas : elle est perdue, éparpillée dans les divers systèmes, mêlée à des erreurs dont il faudrait la dégager. Nous prenons le nom d’éclectiques, nous nous sommes donné pour mission de réunir les rayons dispersés, de les rassembler en un faisceau unique, de reconstituer la lumière dans la pureté de son éclat véritable. — Mais, pour discerner le vrai, il faut déjà le connaître ; si vous le connaissez, à quoi bon le chercher ? si vous ne le connaissez pas, comment le découvrir ? — Le cercle vicieux n’est qu’apparent. Ce qui égare les philo-

  1. Tome i, p. 103-140.