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hypothèse, la conception claire d’un objet peut-être destiné à rester perpétuellement obscur, c’est que précisément il est essentiel que cette conception puisse être le point de départ de raisonnements déductifs, et que, pour cela, la clarté est une condition sine quâ non. La matière en elle-même est peut-être pour les savants contemporains tout aussi ambiguë qu’elle pouvait l’être pour Anaximandre ; mais, quoique ce soit toujours à elle qu’ils s’attaquent dans leurs hypothèses, leur but n’est certainement pas d’en éclaircir la notion ; il consiste à relier entre elles des causalités sur lesquelles nous n’avons pas d’autre prise. Il est bien possible même que plus on avance, plus le problème devient en réalité complexe et délicat ; mais ce n’est pas une raison pour décourager les chercheurs ; il suffit de leur recommander la prudence.

V. — La troisième et dernière partie du livre se rapporte à la synthèse. Nous avons déjà eu l’occasion d’en extraire tout ce qui devait faire l’objet d’une étude pour laquelle nous ne sommes pas astreints à suivre rigoureusement le même ordre que notre auteur ; nous n’avons donc pas à nous y arrêter.

Le lecteur qui a eu la patience de nous suivre n’attend sans doute pas que nous nous livrions maintenant à un examen approfondi des idées et des opinions de M. Girard ; il a pu se rendre compte que, à part quelques divergences peu importantes, ces idées et ces opinions sont en somme les miennes ; et je ne puis que lui avouer qu’il les trouvera, s’il le désire, dans l’ouvrage dont j’ai essayé de rendre compte, beaucoup mieux exposées et beaucoup mieux défendues qu’elles ne pourraient l’être par moi-même. Toutefois, pour lui éviter une désillusion, je dois le prévenir de certains défauts qui le choqueront sans doute.

Je ne reprocherai pas à M. Girard quelques vivacités de polémique qui n’attireront pas, je pense, sur sa tête, des foudres bien redoutables ; mais, d’une part, une manie pour certains paradoxes, de l’autre, une insuffisance d’érudition générale dont nous avons donné, en commençant, un exemple assez curieux, et sur laquelle nous reviendrons un peu plus loin.

C’est peut-être une infirmité de la nature humaine, à laquelle échappent rarement les penseurs vraiment originaux, que d’adopter et de soutenir envers et contre toute raison certaines opinions malencontreuses qui n’ont pas même l’intérêt de la nouveauté, mais qui d’ailleurs sont généralement assez inoffensives pour ne pas leur porter préjudice à eux-mêmes. On les désigne d’habitude sous un nom enfantin qu’on voudra bien nous passer pour une fois. Un dada de M. Girard sera, par exemple, de prétendre nous faire dire que la tangente à une courbe a, non pas un, mais deux points communs avec la courbe. Cette façon de parler a des avantages bien connus en analyse, et elle y est même devenue assez usuelle (étant sous-entendu que les deux points sont confondus en un seul) ; mais la soutenir en géométrie, c’est tout simplement vouloir ressusciter les indivisibles de Cavalieri.

Je n’insisterai pas, et pour cause ; seulement, quand on partage ce