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analyses. — h. girard. La philosophie scientifique.

transcendance, mais le fait qui résulte de sa réalisation effective rentre dans le domaine scientifique.

On a pu remarquer, dans ces développements, le mot nouveau de causation, introduit, d’après Herschel, pour désigner une loi fondamentale, qui ne se démontre pas, mais « qui doit néanmoins prendre sa place dans la base de l’édifice scientifique comme pierre angulaire, au même titre que le temps, l’espace, la matière, le mouvement, etc., lesquels ne se démontrent pas davantage.

M. Girard se plaint que cette loi fondamentale n’ait pas même eu, jusqu’à présent, de nom pour la désigner. Peut-être y a-t-il là dans les idées une certaine confusion, origine d’une querelle de mots sans grand intérêt. Mais comme la question a en elle-même une importance indiscutable, on nous permettra une digression suffisante pour tenter de l’élucider.

D’ordinaire, ce que M. Girard appelle la causation se désigne sous la périphrase de constance des lois de la nature et s’entend de l’existence de rapports déterminés entre les circonstances d’un phénomène donné. D’autre part, cette idée de causation est impliquée dans la notion de cause au point de n’en pouvoir guère être facilement distinguée ; car, si une même cause ne nous parait pas produire le même effet, nous disons inévitablement que nous ne connaissons pas la cause complète de cet effet.

La question véritable se posera mieux sur un exemple. Un volume déterminé d’hydrogène pur, dans des conditions précises de température et de pression, pèse, supposons-le, une certaine fraction du gramme. En répétant les expériences de pesée avec toutes les précautions possibles, on trouvera toujours les mêmes chiffres pour les premières décimales de cette fraction ; mais il y a une limite à laquelle il faut pratiquement s’arrêter et que l’on ne conçoit pas la possibilité -de dépasser effectivement, quelle que soit la perfection des moyens dont on puisse jamais disposer en réalité. Admettons que cette limite soit la dixième décimale. La question est de savoir si nous devons considérer la vingtième décimale comme ayant une valeur déterminée, quoique, bien entendu, nous ne puissions arriver à connaître cette valeur.

Qu’objecterions-nous à celui qui nierait l’existence de cette vingtième décimale déterminée ? Serait-ce la constance des lois de la nature ? Il y aurait là un abus évident. Nous entendons en effet cette constance comme vérifiable (plus ou moins facilement) dans chaque cas particulier, et il est clair que notre croyance à des lois constantes ne serait nullement atteinte par un doute analogue à celui que nous supposons. Nous invoquerions la loi de causation, mais en la retournant, et nous dirions que, dans la variation hypothétique de cette vingtième décimale, il y aurait un effet sans cause, puisque toutes les conditions de la pesée sont supposées rigoureusement déterminées.

Or il s’agit de savoir si cet argument est valable. Si oui, il n’y a