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analyses. — wake. The Evolution of Morality.

qu’il lui était possible d’en avoir et d’en entretenir, les gardant avec jalousie contre les autres hommes. »

Ces vues nous semblent fort judicieuses. La famille, polygame ou monogame, fut certainement antérieure à la tribu, et la famille implique déjà, la propriété. Primitivement, les familles errantes, isolées, ne se rencontraient probablement qu’à de rares intervalles ; leur premier mouvement devait être alors de se fuir, non de se combattre. Quantité de témoignages attestent le caractère inoffensif des sauvages. Tout porte à croire, contrairement à l’opinion de Hobbes, que l’état de nature, ce fut une longue paix entre de petits groupes peu nombreux, disséminés sur de larges espaces, vivant dans une ignorance à peu près absolue les uns des autres. Maître sans contrôle de sa femme ou de ses femmes, de ses enfants, de son district, l’homme prit de bonne heure une conscience énergique de son droit de propriétaire : nul besoin, pour cela, qu’il lui fût contesté ; il lui suffisait de l’exercer, comme il le faisait à tous les instants sur ces êtres qui étaient à lui et dont la vie dépendait de sa force, de son activité, de sa vigilance, de son industrie. Et pourquoi n’eût-il pas respecté le même droit chez cet autre chef de famille qu’il entrevoyait par hasard, puisque la terre, encore assez vaste pour le peu d’humains qui l’habitent, permet à chacun de se tailler un domaine où nulle compétition ne le menace ? Si l’on admet que cet état de choses a pu durer pendant une assez longue période, que la famille, agrandie et devenue le clan, reste soumise à l’autorité sacrée du père commun, on comprendra que l’idée du droit, inséparable de celle de la puissance paternelle, se soit profondément empreinte dans l’esprit de celui-ci, impliquant l’idée d’un droit égal et corrélatif chez tous ceux qui sont revêtus du même caractère. Je laisserais de côté l’instinct brutal de la conservation, qui me paraît n’avoir en tout ceci qu’une importance très secondaire, et je chercherais l’origine de l’idée du droit uniquement ou à peu près dans le pouvoir paternel et marital, qui nécessairement dut naître avec le genre humain.

L’idée du droit ou du juste une fois formée, M. Wake s’attache à déterminer les conditions de son développement et de son progrès. La plus importante, selon lui, celle qui lui donne à proprement parler un caractère moral, c’est l’opinion, universellement répandue à une certaine période de la civilisation, que les morts ont des droits. Presque tous les sauvages croient qu’il subsiste après la mort quelque chose de l’homme, son fantôme ou son double, retenant les habitudes, les besoins, les dispositions qu’il avait ici-bas. Incapable de concevoir que la mort puisse être l’effet de causes naturelles, le sauvage invariablement attribue la perte des siens aux maléfices d’un sorcier. Le mort est une victime, et, comme il vit encore, il conserve, il revendique son droit à la vengeance ; ce droit, on l’exerce en son nom, et l’on ne manquera pas de trouver le sorcier qui l’a fait périr et qui doit périr à son tour. Voilà sous quelle forme le droit des morts se manifeste à l’origine.

Bientôt se précise et s’élargit la conception d’un monde des esprits :