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analyses. — wake. The Evolution of Morality.

cause de cette distinction, et il la trouve dans l’idée du droit personnel (personal right), d’où découle, selon lui, toute la partie négative de la morale, celle qui se rapporte aux devoirs de stricte justice.

Comment s’opère cette déduction ? — Si sauvage et si misérable qu’on le suppose à l’origine, l’homme dut posséder quelque chose et avoir un sentiment énergique de la propriété. La nourriture qu’il vient de conquérir au prix de mille fatigues, l’arme qu’il s’est péniblement fabriquée pour défendre sa vie ou atteindre sa proie, il a conscience qu’elles sont bien à lui. Cette possession implique dans son intelligence rudimentaire l’idée d’un droit, et la violation de ce droit, dans sa personne, lui apparaît nécessairement comme un mal. La conception de l’injustice dont il serait victime si l’on prétendait le dépouiller de sa propriété, voilà l’élément primitif, le point de départ de toute la moralité. Mais l’idée du droit resterait latente et confuse dans l’esprit, si ce droit n’avait à subir aucune atteinte. La violence qui se dresse contre lui en précise et en fortifie les traits par le contraste même, et devient par là l’une des premières conditions d’un progrès qui tend à la rendre à mesure plus odieuse et plus impuissante.

Un grand effort d’esprit n’est pas nécessaire à l’homme pour passer de la conception de son droit personnel à celle d’un droit analogue chez ses semblables. Il ne peut manquer, tôt ou tard, de comprendre que, s’il est mal pour les autres de ne pas respecter sa propriété, il est mal pour lui de ne pas respecter celle d’autrui. « Que la notion de la moralité soit réellement fondée sur celle des droits de propriété, c’est ce que prouve avec évidence ce fait que, chez des peuples d’une culture relativement élevée, presque tous les crimes ont une sorte de tarif matériel, le payement de l’amende fixée pour l’offensé étant considéré comme une satisfaction suffisante. On pourrait croire que le cas de l’adultère diffère des autres ; mais il n’en est rien, car c’est seulement à une période avancée du progrès social que la femme, épouse ou fille, est regardée comme quelque chose de plus que la propriété du père ou du mari. »

La reconnaissance des droits d’autrui a dû d’ailleurs trouver un puissant auxiliaire dans l’instinct social. La sociabilité de l’homme, même au plus bas degré de culture, ne saurait être mise en doute ; partout et toujours, il est puissamment porté à vivre en compagnie de ses semblables. Comment n’eût-il pas bien vite appris qu’une telle vie n’est possible que s’il accorde à ses compagnons ces mêmes droits de propriété qu’il réclame pour lui-même ? Et, à défaut de tout autre motif, comment ses tentations de s’approprier le bien d’autrui n’eussent-elles pas été réprimées par la crainte de souffrir à son tour le châtiment qu’il s’efforce d’infliger lui-même à quiconque fait violence à son droit ?

Mais l’instinct de propriété n’est qu’une manifestation particulière, un développement de l’instinct plus général et plus simple de conservation personnelle. « Dans la première phase du progrès humain, tout est subordonné à la conservation de l’individu ou à la propagation de