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Si Anaximandre a le premier mis la terre au centre du monde, Thalès devait lui assigner une autre placé ; si le même Ionien a le premier spéculé sur les distances relatives des astres, Thalès devait les considérer tous comme également éloignés ; en tout cas, le soleil était pour lui aux limites du monde, suivant la doctrine constante des Ioniens, qu’Archimède déclare être encore la plus généralement adoptée par les astronomes de son temps[1].

Au dire de Parménide, c’est Pythagore qui a le premier enseigné l’identité de l’étoile du soir et de l’étoile du matin ; Thalès ne s’occupe donc pas encore des planètes.

Les connaissances relatives aux solstices et aux équinoxes supposent qu’il possédait des notions assez exactes sur l’obliquité de la course du soleil ; toutefois la division du zodiaque en signes, enseignée seulement un siècle plus tard par Œnopide, lui semble inconnue ; les constellations sont à peine nommées de son temps.

Pour restituer, au moyen de ces données, positives ou négatives, l’idée que Thalès pouvait se faire de l’univers, il suffit d’y ajouter un trait, son opinion connue que Peau est le principe des choses, en remarquant d’ailleurs que pour les Ioniens le principe n’est pas seulement l’élément originaire, mais celui qui remplit l’espace par delà les bornes de notre monde, engendré dans son sein.

On arrive dès lors inévitablement à la conception suivante : l’univers est une masse liquide qui renferme une grosse bulle d’air hémisphérique ; la surface concave de cette bulle est notre ciel ; sur la surface plane, en bas, notre terre flotte comme un bouchon de liège ; les dieux célestes nagent dans des barques circulaires lumineuses, tantôt sur la voûte (la concavité des barques est alors tournée vers nous), tantôt autour du disque terrestre (alors ils sont invisibles à nos yeux).

Nous ne prétendons pas que ce soit là précisément la conception que Thalès avait adoptée ; mais, comme elle est formée par la combinaison rigoureuse des opinions qu’on lui connaît comme propres et de celles qui sont communes à tous les philosophes de l’Ionie, il semble bien qu’on puisse conclure qu’il a au moins connu cette conception et qu’elle représente en fait ce qu’il a apporté en Grèce.

Or elle est absolument identique avec celle que l’on retrouve dans les papyrus égyptiens les plus antiques :

    Quant à Anaximène, nous venons de mentionner son opinion. Dans le texte d’Eudème, conservé par Théon de Smyrne, au lieu de son nom, il faut lire celui d’Anaxagore comme auteur de la véritable théorie. La confusion est due à un copiste qui aura voulu rétablir à tort la διαδιχὴ de l’école ionienne.

  1. Eudème, l. c, et dans Simplicius (Commentaires sur le Traité du Ciel).