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rives du Nil, et elles nous permettent d’affirmer que la géométrie ne s’y est guère élevée au-dessus des simples applications pratiques qui lui ont donné son nom.

Quand nous parlons de cette science, nous sommes habitués à la considérer comme un ensemble de théorèmes spéculatifs rigoureusement déduits d’un très petit nombre d’axiomes. Mais elle n’est devenue telle que peu à peu et sans doute très lentement. À cette époque, il n’y avait qu’un recueil de procédés mal liés entre eux, servant à la solution de problèmes de la vie usuelle et dans lesquels on s’appuyait sur des lemmes alors regardés comme évidents et seulement démontrés plus tard, quand ils n’ont pas été éliminés comme entachés d’erreur.

Qu’il y eût des arpenteurs en Grèce avant Thalès, on ne peut guère en douter ; les problèmes existaient, car la civilisation était suffisamment développée ; il fallait donc les résoudre, bien ou mal. Les traditions relatives aux travaux géométriques du sage Milésien signifient donc seulement qu’il perfectionna l’arpentage de son pays. Mais cet art se transmettait sans doute oralement ; du moins Thalès n’a certainement composé aucun ouvrage de géométrie, et, avant Démocrite, on ne connaît pas d’auteur qui ait traité de l’arpentage. Quand, plus tard, Eudème écrivit une Histoire des mathématiques, il en fut donc réduit à conclure, d’un ou de deux procédés d’arpentage auxquels le nom de Thalès était resté attaché, que celui-ci connaissait les propositions que supposent ces procédés ; mais il ne put d’ailleurs rien affirmer sur la question de savoir si ces propositions étaient démontrées ou non.

Ces remarques sont indispensables pour juger de la valeur des témoignages d’Eudème, que Proclus nous a conservés dans son Commentaire sur le 1er livre d’Euclide ; en examinant plus loin quels sont les théorèmes dont la connaissance est ainsi attribuée à Thalès, nous verrons qu’ils sont au reste tout à fait élémentaires, et si, prenant à la lettre le texte d’Eudème, on lui en accorde l’invention, il est clair qu’il n’a rien appris en Égypte, contre ce que déclare l’historien lui-même. On peut en dire autant des théorèmes attribués à Œnopide de Chios. Nous voyons d’ailleurs, immédiatement après ce dernier, Démocrite serives du Nil, et elles nous permettent d’affirmer que la géométrie ne s’y est guère élevée au-dessus des simples applications pratiques qui lui ont donné son nom.

Quand nous parlons de cette science, nous sommes habitués à la considérer comme un ensemble de théorèmes spéculatifs rigoureusement déduits d’un très petit nombre d’axiomes. Mais elle n’est devenue telle que peu à peu et sans doute très lentement. À cette époque, il n’y avait qu’un recueil de procédés mal liés entre eux, servant à la solution de problèmes de la vie usuelle et dans lesquels on s’appuyait sur des lemmes alors regardés comme évidents et seulement démontrés plus tard, quand ils n’ont pas été éliminés comme entachés d’erreur.

Qu’il y eût des arpenteurs en Grèce avant Thalès, on ne peut guère en douter ; les problèmes existaient, car la civilisation était suffisamment développée ; il fallait donc les résoudre, bien ou mal. Les traditions relatives aux travaux géométriques du sage Milésien signifient donc seulement qu’il perfectionna l’arpentage de son pays. Mais cet art se transmettait sans doute oralement ; du moins Thalès n’a certainement composé aucun ouvrage de géométrie, et, avant Démocrite, on ne connaît pas d’auteur qui ait traité de l’arpentage. Quand, plus tard, Eudème écrivit une Histoire des mathématiques, il en fut donc réduit à conclure, d’un ou de deux procédés d’arpentage auxquels le nom de Thalès était resté attaché, que celui-ci connaissait les propositions que supposent ces procédés ; mais il ne put d’ailleurs rien affirmer sur la question de savoir si ces propositions étaient démontrées ou non.

Ces remarques sont indispensables pour juger de la valeur des témoignages d’Eudème, que Proclus nous a conservés dans son Commentaire sur le 1er livre d’Euclide ; en examinant plus loin quels sont les théorèmes dont la connaissance est ainsi attribuée à Thalès, nous verrons qu’ils sont au reste tout à fait élémentaires, et si, prenant à la lettre le texte d’Eudème, on lui en accorde l’invention, il est clair qu’il n’a rien appris en Égypte, contre ce que déclare l’historien lui-même. On peut en dire autant des théorèmes attribués à Œnopide de Chios. Nous voyons d’ailleurs, immédiatement après ce dernier, Démocrite se vanter de ne le céder à aucun des géomètres, de l’Égypte[1], et, dès la génération suivante, Platon refuser à tous les Barbares l’épithète de φιλομαθεῖς[2] et ne leur accorder la supériorité qu’en astronomie, en tant que de longues observations leur

  1. Γρααμέων συνθέσιος μετὰ ἀποδείξιος οὐδεὶς ϰώ με παρήλλαξεν, οὐδ’οἱ Αἰγυπτίων ϰαλεόμενοι Ἀρπεδονάπται (Clem. Alex., Strom. I).
  2. Civitas, IV, 436, a.