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timent du beau et du sublime analyse avec une curiosité trop intelligente et une sensibilité trop vive les formes de la beauté, pour n’être pas fortement touché du prix de l’art. Mais remarquons que Kant s’intéresse surtout à l’étude de la beauté humaine telle qu’elle se manifeste dans la diversité des caractères, des sexes et des nations ; et qu’il choisit un sujet où les appréciations esthétiques et les préoccupations morales se confondent. N’est-il pas permis de voir là un signe de l’influence que Rousseau a exercée sur lui ? Toutefois, s’il proteste avec l’écrivain français contre la corruption du goût, il se sépare de lui pour conseiller le retour aux modèles et à la perfection de l’art antique.

« En tout ce qui est relatif au sentiment du beau ou du sublime, nous n’avons rien de mieux à faire que de nous inspirer des modèles des anciens : ainsi dans l’architecture, dans la sculpture, la poésie, l’éloquence, les mœurs et les constitutions politiques. Les anciens étaient plus près que nous de la nature : nous en sommes séparés par les mille inventions de la frivolité, du luxe, de la servilité. Notre siècle est celui des jolis riens, des belles bagatelles, des sublimes chimères. »

Les théories de Rousseau sur la religion naturelle ne satisfont Kant qu’imparfaitement. Il reconnaît sans doute avec lui que l’absence de toute religion rend l’homme de la société beaucoup plus dangereux que celui de la nature. Il avoue encore que le luxe a fait sentir son action funeste jusque sur la religion ; qu’il a donné naissance aux pratiques efféminées de la superstition, à ces artifices et comme à ces ruses de la fausse dévotion, qui entreprend d’associer le Très-Haut aux affaires et aux calculs des hommes. Mais il ne croit pas que l’homme de la nature soit capable de s’élever à une juste notion de la divinité. « La religion naturelle ne peut être vraie que là où la science se rencontre déjà : tous les hommes ne sauraient donc la connaître. »

Les théories politiques du Contrat social agissent plus profondément sur les idées de Kant que les vues de Rousseau sur l’art et la religion. Les protestations enflammées du socialiste genevois contre l’inégalité des conditions, et les vices des institutions économiques ou politiques qui la produisent et la consacrent, font vibrer en lui des sentiments démocratiques auxquels il était sans doute demeuré étranger jusque-là, que son éducation et le commerce du monde n’avaient certainement pas encore éveillés en lui.

« Que l’homme s’ingénie tant qu’il voudra, il ne réussira pas à changer les lois de la nature. Il faut ou qu’il travaille lui-même, ou que les autres travaillent pour lui. Mais, dans le second cas, le tra-