Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome IX, 1880.djvu/287

Cette page n’a pas encore été corrigée
277
d. nolen. — les maîtres de kant

Nous avons de la peine à nous faire une idée exacte de la félicité propre à l’état de nature, parce que les plaisirs simples n’agissent plus sur notre sensibilité émoussée, parce que nous croyons communément que les maux de la culture sociale sont inséparables de la condition humaine. « Mais on peut être heureux en dehors de la « société : on n’est alors tourmenté, en effet, par aucun besoin. Le repos qui suit le travail est plus doux, et l’homme ne court pas sans cesse après le plaisir. »

Que l’on ne vante pas les prétendus avantages de la société. Qu’on ne dise pas que la vertu, la science et l’art, que tout ce qui fait la noblesse de l’homme, ne peut fleurir dans un autre milieu. C’est pour résister à la corruption engendrée par l’état social que la vertu est nécessaire ; et c’est pour satisfaire aux besoins du luxe et ajouter à ses jouissances que la science a pris naissance. « Dans l’état de nature, on peut être bon sans vertu et raisonnable sans science. »

Kant s’ingénie à commenter les paradoxes du Discours sur les arts et les sciences. « Si une chose n’est pas faite pour la vie entière, pour les divers âges, pour la généralité des hommes, si elle dépend du hasard et n’est que difficilement utile, on doit affirmer qu’elle n’est pas essentielle à la félicité et à la perfection de l’espèce humaine. Combien de siècles se sont écoulés avant que la vraie science fît son apparition 1 combien de nations se sont succédé dans le monde, qui ne l’ont jamais connue ! Il n’est pas permis de dire que la nature nous ait faits pour être savants, parce qu’elle nous en a donné la faculté. Qu’on ne parle pas des jouissances attachées au savoir : elles sont bien souvent plus apparentes que réelles. » Comment d’ailleurs oublier les maux que cause la science ? La plupart de ceux qui la cultivent se persuadent que le savoir dispense du jugement et ne songent qu’à satisfaire leur vanité, non à perfectionner leur raison. « Le seul service que les sciences nous rendent, c’est ou d’aider le luxe (ex. les mathématiques), ou d’écarter les maux engendrés par le luxe ; on peut cependant, si l’on veut, accorder que la science a quelque effet sur la moralité du caractère. » Il n’y a, en résumé, qu’une seule science qui soit nécessaire : c’est celle qui nous apprend « à occuper convenablement la place « qui a été assignée à l’homme dans la création, et enseigne à l’homme ce qu’il doit être pour mériter véritablement le nom d’homme[1]. » Et c’est cette science que j’enseigne, ajoute Kant.

Kant ne se rapproche pas sans doute autant de Rousseau dans les réflexions que l’art lui inspire. L’auteur des Considérations sur le sen-

  1. Fragments, passim.