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notices bibliographiques

losophe qui, par certains côtés, a tant de rapports avec lui, un système qui est idéaliste, pour une grande part, à la manière du criticisme.

M. Janitsch en donne des raisons qui ne manquent pas d’intérêt et qui sont pour la plupart d’ordre psychologique.

Kant avait un vif et légitime sentiment de l’originalité de son œuvre. Il lui déplut de voir dans l’exposition de son système, telle que la donnèrent Garve et Féder, un rapprochement entre sa doctrine et celle de Berkeley. Des esprits superficiels devaient être frappés en effet d’analogies qui échappaient au contraire, faute de renseignements assez précis, à l’auteur de la Critique. De là, dans l’esprit de Kant, une aversion en quelque manière instinctive contre le philosophe auquel on semblait faire honneur de ses propres découvertes. Berkeley devint bientôt pour lui comme le type des idéalistes mystiques auxquels il ne voulait ni ressembler ni être comparé, et toute l’amertume que peut inspirer à celui qui en est la victime la fausse interprétation d’une théorie nouvelle, il l’a mise en toute occasion dans ses jugements sur le philosophe irlandais.

Mais il y a une autre raison, d’après M. Janitsch, et plus curieuse encore, de l’animosité de Kant contre son prédécesseur. Kant lui-même aurait été fort porté au mysticisme ; c’est seulement au prix d’efforts incessants qu’il aurait maintenu sa pensée dans la voie tracée par la Critique de la raison pure. La Critique de la raison pratique serait une concession à cette tendance mystique, mais dans une mesure qu’il prétendait ne pas dépasser. Suivant l’idée qu’il s’en faisait, les théories de Berkeley porteraient bien au delà, et cette façon de philosopher en perdant de vue les données de l’expérience, qui était aussi, à son avis, par quelques côtés du moins, celle des Platon et des Leibniz, l’aurait toujours séduit secrètement ; on en trouverait la preuve dans les Rêves d’un visionnaire, qui auraient fort bien été les rêves de Kant lui-même à certains moments de son développement mental, dans plusieurs autres écrits, et particulièrement dans un curieux passage d’une lettre à Mendelssohn, où il est précisément question des Rêves d’un visionnaire. « Il me parut très opportun, dit-il, pour préserver les autres, de me moquer d’abord de moi-même ; je me suis en cela conduit avec une grande sincérité, car en vérité l’état de mon esprit n’est pas sans présenter quelques contradictions. En ce qui concerne le récit (des visions de Swedenborg), je ne puis m’empêcher de nourrir un petit penchant pour les histoires de cette espèce, et en ce qui regarde le fondement de la raison, d’approuver dans une certaine mesure l’exactitude de ce qu’on en dit, malgré les absurdités qui enlèvent aux premières toute valeur, et les chimères, les rêveries incompréhensibles, qui forcent à rejeter le second. » Nous pourrions donc affirmer que Kant lui-même a été sujet à des accès de mysticisme, qu’il en a compris tout le danger, qu’il a lutté pour s’en guérir, et nous aurions peut-être trouvé là le secret d’une hostilité, en quelque sorte systématique, contre celui qui lui paraissait avoir développé au plus haut point, dans