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notices bibliographiques

tinée écarte successivement l’opinion de Stallbaum, qui fait des idées de Platon les pensées divines ; celle de M. Janet, qui y voit les modes divers de la substance divine ; celle de M. Fouillée, qui, tout en admettant l’existence indépendante des idées et leur subordination hiérarchique, finit par les confondre et les identifier dans l’absolue perfection de l’Unité ou du Bien. Cette discussion, qui n’occupe que quelques pages, nous paraît avoir une sérieuse valeur.

L’interprétation de M. Matinée, c’est que Platon a reconnu trois sortes d’idées bien distinctes : Dieu et ses attributs, qui sont le Beau, le Juste, le Vrai, le Bien, tout ce qui exprime la perfection immuable et absolue ; les idées du monde sensible et les idées de relation (égalité et inégalité, petitesse et grandeur, etc.). M. Matinée ne veut pas que l’idée du Bien soit la substance même de Dieu, l’Être suprême, la cause universelle. Elle n’est, pour lui, qu’un attribut, le plus éminent sans doute, la plus radieuse des essences que l’âme a contemplées dans les poétiques évolutions qui ont précédé sa chute ici-bas. Cette exégèse est assurément nouvelle, et les preuves invoquées par l’auteur ne manquent pas de vraisemblance. M. Matinée ne pouvait se dispenser de tenter à son tour l’explication de l’inexplicable dialogue du Parménide ; avouons qu’il l’a fait d’une manière fort ingénieuse. Le passage mérite d’être cité textuellement.

« Ce que Platon a voulu démontrer, dit-il, c’est que Dieu, l’unité parfaite, ne saurait être atteint ni par un procédé d’abstraction qui épuise son idée même en éliminant successivement toutes les existences individuelles pour ne retenir qu’une ombre, un semblant d’être absolument inconcevable ; ni par une synthèse illicite qui, en introduisant violemment la multiplicité au cœur du principe lui-même, n’en fait plus qu’un germe fécond qui va se reproduisant dans toutes les existences possibles.

« Le Parménide est une démonstration indirecte, ce que nous appellerions aujourd’hui une démonstration par l’impossible. Platon épuise la série des hypothèses auxquelles a donné lieu la recherche de l’unité première. Il les réduit toutes à l’absurde… Par là, il nous amène à reconnaître que l’un principe ne peut exister à l’état d’abstraction pure, que l’existence ne saurait lui être prêtée à titre d’élément étranger ; qu’elle en est inséparable ; que la pensée, parvenue au but de ses investigations, ne va pas se perdre dans le vide de l’indétermination qui serait le triomphe du néant, qu’elle ne reste pas davantage partagée entre deux éléments distincts qu’elle peut à son gré séparer par l’analyse ou rapprocher par la synthèse. Non : la pensée, arrivée au terme sublime de ses démarches, se repose au sein de l’unité vivante, de l’unité qui ne fait plus qu’un avec l’être… Le Dieu légitime de la pensée, celui que trouve la dialectique comme la seule solution du problème, n’est ni le tout abstraction faite des parties composantes, ni le tout avec l’infinie pluralité des éléments qui le constituent. Il n’est que lui-même, οὐκ ἐστὶ πλὴν αὐτό, être-un, plénitude de l’être et de la vie. »