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analyses. — b. saint-hilaire. De la Métaphysique.

ou plutôt ce qu’elles ont l’air d’être, dans leur devenir extérieur, c’est affaire au physicien de le chercher ; Platon ne s’en soucie pas. Il dédaigne cette science où l’esprit n’apprend point ce qui l’intéresse, le rapport des êtres, ou plutôt des idées, avec lui-même, avec son principe, le bien, c’est-à-dire leur explication, leur réalité vraie, leur valeur. Car les choses ont deux sortes d’existence, l’une sensible, c’est-à-dire obscure, opaque, impénétrable, sur laquelle la pensée est sans prise (ἀπορώτατον, ἄμυδρον, δύσωραστον, δυσαλφτατον}), l’autre intelligible, qui ne consiste pas dans ce qu’elles sont, mais dans ce qu’elles valent, c’est, à-dire dans ce qu’elles sont pour l’esprit : c’est en lui seulement qu’elles ont cette existence, qui ne se compte ni ne se pèse, mais qui, supérieure au nombre, suppose une mesure à part, subjective, l’amour, sentiment de la perfection.

D’une certaine manière, on peut donc soutenir que Platon est dualiste, partisan de la transcendance ; ces expressions ne sont cependant pas exactes. Quand ou parle de transcendance ; de dualisme, on admet implicitement que les deux mondes que l’on oppose ont au moins cela de commun de rentrer dans un genre supérieur, qui leur permet d’être nombres, celui de l’être, pris des deux parts au même sens du mot. Il n’en est pas ainsi quand il s’agit de Platon. Les deux mondes qu’il superpose ou plutôt qu’il distingue n’ont rien de commun ; c’est par une insuffisance de langage, ou plutôt par l’effet d’une duperie intérieure, d’une sorte de mensonge naturel, de faiblesse peut-être, qu’on leur attribue également à l’un et à l’autre ce qu’on appelle du nom d’existence. Le monde intelligible n’est pas une sorte de reproduction ou d’exemplaire, au sens propre, du monde sensible, mais ce monde vu par l’esprit à travers lui-même, c’est-à-dire éclairé à la lumière morale, prenant un sens et une réalité supérieure par le rapport où il est mis avec le bien, conçu, voulu et posé comme le seul être digne de ce nom, indépendant, fondé en soi, Spinoza dirait, dans la langue réaliste d’Aristote, comme la seule substance. En d’autres termes, ce monde n’est, pourrait-on dire aujourd’hui, que l’ensemble, ou mieux la succession, la hiérarchie des affirmations morales, des jugements que l’esprit se formule au sujet du monde sensible et par lesquels il le fait participer à son existence à lui, la seule au fond qu’il comprenne. Cette existence n’est pas, comme l’autre, arrêtée et constante, mais, en apparence au moins, mobile, insaisissable, suivant sans fin le mouvement de l’esprit, qui la cherche dans les choses, et ne l’y trouve pas, parce qu’elle est en lui-même. Mais, à mesure que cet idéal lui échappe et qu’il éprouve l’impossibilité de l’atteindre au dehors, il en prend une conscience plus vive, et le reflet de cette conscience rejaillit jusque sur les choses. Leurs images désormais, dans un jour nouveau, se transforment, reçoivent une valeur, une beauté, et cette beauté devient pour l’esprit mieux que leur raison d’être, leur être véritable. Dans la mesure où elles sont belles, elles existent, elles participent au parfait : l’émotion esthétique et