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religions sont là pour le prouver. La philosophie a donc une raison d’être : elle ne se démet en faveur de personne et peut répondre à la théologie et à la science ce que Socrate répondait à ses juges : « Je vous honore et je vous aime, mais j’obéis plutôt à Dieu qu’à vous. »

Les questions qui se posent pour la religion et la philosophie étant les mêmes nécessairement et les solutions étant généralement pareilles, en quoi peuvent donc consister les différences ? Les religions sont des œuvres collectives qui reposent sur la tradition, sur l’autorité-, les philosophies sont des œuvres individuelles qui relèvent de la libre recherche. Aussi ne peuvent-elles être que tolérantes, sans pour cela être « indifférentes à ce qu’elles regardent comme l’erreur ». La philosophie est respectueuse de la religion : la dédaigner serait de sa part se désavouer elle-même en principe. Car « l’inspiration instinctive des peuples les conduit à la vérité sur les points essentiels aussi sûrement que la réflexion la plus attentive y peut conduire le philosophe. De part et d’autre, le résultat est identique. La philosophie serait bien aveugle de ne pas le voir. »

Mais si la religion a tort de se croire menacée par elle, la science n’a-t-elle pas plus tort encore ? Elle ne devrait jamais oublier la communauté d’origine et de nature qui l’unit à la philosophie. « La philosophie use pour ses études de procédés exclusivement scientifiques. » Non contente d’avoir la première recommandé aux sciences la méthode d’observation, elle ne fait autre chose elle-même que d’observer des faits. On prétend que la métaphysique n’est pas une science. Est-il bien vraisemblable que des hommes tels que Socrate, Platon, Aristote, Leibnitz se soient mépris à ce point ? Est-il même beaucoup plus vraisemblable que les fondateurs des religions se soient trompés du tout au tout, et le genre humain avec eux ? Quelle surprise Descartes, Spinoza, Leibnitz, quelle surprise l’antiquité tout entière ne ressentirait-elle pas en apprenant que la philosophie première n’est pas une science ! Elle en est une, au dire d’Aristote, et la plus science de toutes, parce qu’elle étudie les premiers principes, parce qu’elle recherche les causes et le pourquoi. Elle seule est complètement rationnelle, « ainsi que voulaient le faire entendre Kant par sa raison pure et Platon par sa dialectique. » Il est faux d’ailleurs que l’observation intime soit impossible : elle est au contraire fort répandue, et aucune science ne peut s’en passer.

Mais, dit-on, la métaphysique n’amoncelle pas de faits ; elle n’a rien de définitivement acquis, et son travail est toujours à recommencer. L’objection est capitale. « Pour se convaincre, dit M. Barthélémy Saint-Hilaire, qu’elle n’est pas sérieuse, il n’y a qu’à consulter un des savants les plus illustres de notre temps, l’auteur de la Mécanique céleste. » En effet, au témoignage de Laplace, la littérature a des limites qu’un homme de génie peut atteindre, lorsqu’il emploie une langue perfectionnée, et ni l’intérêt qui s’attache à son œuvre, ni sa réputation ne diminuent dans la suite du temps, tandis que les sciences, sans bornes