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analyses. — b. saint-hilaire. De la Métaphysique.

« Le malheur de Spinoza est d’avoir renié tout cela. L’athéisme nouveau dont il a été le promoteur a causé depuis deux siècles bien des naufrages et ne cesse de faire des victimes. Spinoza n’a rien de Descartes. Il en serait bien plutôt l’ennemi… » C’est parmi les philosophes arabes et juifs qu’il faut chercher ses ancêtres. « La première cause de toutes ses aberrations, c’est d’avoir pris une définition pour point de départ. » Vraie dans Aristote, cette définition (celle de la substance) devient parfaitement fausse dans Spinoza, qui la rend universelle et qui l’applique à Dieu, anéantissant tout le reste, malgré les réclamations les plus éclatantes de la raison et de la conscience, et soumettant la substance infinie elle-même à une nécessité que le paganisme avait faite moins cruelle et moins sombre. Dans la doctrine de Spinoza, l’humanité périt tout entière, la distinction du bien et du mal est abolie, et il a beau intituler un de ses principaux ouvrages Éthica, il aboutit à une négation absolue de la morale, puisque la morale repose avant tout sur le libre arbitre. Si l’homme n’est qu’un des modes infinis de Dieu, alors que devenons-nous ?… Spinoza est-il donc seul à avoir raison contre le genre humain tout entier ? »

Sans doute cette immolation métaphysique de l’être humain ne manque pas d’une certaine grandeur, « d’une sorte de majesté désolée, qui tiennent au contact même de l’infini… Mais, en ceci, Spinoza n’a pas de privilège : tous ceux qui, parmi nous, ont été séduits à ces doctrines, ont quelque chose de ces lueurs grandioses et décevantes. » Spinoza rappelle Lucrèce ; il rappelle surtout les épopées et les systèmes des Hindous. « L’Inde a connu presque aussi bien que lui cette abdication de la nature humaine, cette absorption de tous les êtres dans l’être unique et infini. Le Bhavavad-Guîtà serait l’antécédent direct et l’ébauche du spinozisme, si Spinoza avait pu le lire, Le mysticisme des Mounis hindous et des Arhats bouddhistes a connu ces excès fanatiques auxquels la solitude pousse les esprits vigoureux et méditatifs. » Ce qui a conduit Spinoza à un système qui défigure si étrangement les hommes et les choses, c’est que, vivant tout en lui-même, il n’a connu ni les uns ni les autres. « Il ne s’est pas douté qu’en philosophie, aussi bien qu’en morale et en politique, il composait un roman faux et triste, bien plutôt qu’un véritable système… » Son système était fait pour séduire des esprits aussi peu pratiques que le sien et aussi aventureux.

M. Barthélémy Saint-Hilaire croit pouvoir « librement critiquer Leibnitz sans risquer de porter atteinte à sa gloire. » Il lui reproche d’avoir poursuivi le cartésianisme avec trop d’âpreté, de n’avoir pas eu de méthode et d’avoir méconnu celle de Descartes. « Aussi n’a-t-il pas réformé la philosophie première, ainsi qu’il s’en flattait : il n’a pas môme donné une définition acceptable de la substance. » Ses monades, son harmonie préétablie sont reléguées depuis longtemps parmi les rêves philosophiques. Il a eu le mérite de réfuter Locke, mais une polémique n’est point un système. Quant à sa théodicée, « il est bien diffi-