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g. séailles. — philosophes contemporains

et il n’a plus retrouvé que le souvenir aimé de ses méditations d’autrefois.

Ce nouvel échec doit-il nous décourager ? Est-il vrai que l’humanité ne progresse qu’en s’appauvrissant et n’avance qu’en jetant ses idées pour alléger sa marche ? est-il vrai que la paix ne puisse se faire dans l’esprit qu’en y faisant le vide et la solitude ? Les idées sont-elles comme toutes choses vivantes, faites pour mourir ? est-il vrai qu’il leur faille la séduction de la jeunesse pour exciter l’enthousiasme des passions irréfléchies ? et puis est-il vrai qu’elles vieillissent et qu’elles ne soient plus que des habitudes sans force jusqu’à ce qu’elles meurent dans l’inertie d’un souvenir qui s’efface ? Les individus meurent, les espèces survivent ; ainsi les dogmes passent, les idées persistent. Les idées sont toujours jeunes, seules les races vieillies s’épuisent et n’ont plus la force de croire, races condamnées à mort, marquées pour la destruction comme les arbres chancelants des grandes forêts, qui doivent laisser l’air respirable aux pousses vigoureuses, qui ne demandent qu’à monter vers le ciel. C’est par le scepticisme qu’on sauvera le dogmatisme : l’homme ne peut rien que s’il garde la force de croire et d’espérer ; au terme de la science, on trouve la foi ; au terme de la réflexion, l’instinct ; au fond de l’esprit, la nature. Quand le xixe siècle aura fait son œuvre, on saura nettement ce qu’on peut, on aura marqué les limites du savoir positif, on aura reconnu que la science est un ensemble d’hypothèses vérifiées, fondées sur une hypothèse directement invérifiable : la foi de la raison en elle-même, et que la métaphysique est un ensemble d’hypothèses partiellement vérifiées qui reposent sur une hypothèse invérifiable : l’espérance d’un accord définitif entre la nature et l’esprit.

G. Séailles.