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perait de son autorité, et l’œuvre philosophique de xixe siècle, du siècle de la science et de l’histoire, serait terminée du même coup. M. Vacherot a échoué ; toutes les idées ne sont pas conciliées, mais juxtaposées dans son système, qui comprend plusieurs philosophies ; la métaphysique n’est pas une science, et nous cherchons encore. Son œuvre donne l’impression de ces monuments trop vastes qui restent inachevés, dont on admire l’audace et les beautés partielles, mais qu’un défaut de plan condamne à ne jamais s’élever et dont les matériaux finissent par se disperser dans des constructions nouvelles. Il lui reste d’avoir osé, d’avoir tenté l’un des grands efforts de la philosophie française au xixe siècle, d’avoir pris conscience des besoins de son temps et d’avoir essayé d’y satisfaire ; d’avoir cherché à concilier la métaphysique et la science par une méthode qui devait être éprouvée ; d’avoir posé sur le parfait et l’infini des problèmes qui semblaient interdits ou définitivement résolus ; d’avoir montré que l’homme, plongé dans la nature, y a ses racines, qu’il tient à tout ce qui est, et que les hypothèses sur son origine et ses destinées ne doivent pas le séparer de ce monde, auquel il emprunte les éléments de son corps et de sa pensée ; il lui reste d’avoir soulevé des discussions fécondes, qui pouvaient conduire à des conclusions que nous avons tenté de dégager ; il lui reste d’avoir, en maintenant l’idéal en face du réel et l’union de ces deux termes en apparence contradictoires, fait entrevoir une solution, peut-être la seule solution possible du problème métaphysique.

Ce qui ajoute à l’intérêt de cette œuvre, c’est sa signification historique, c’est que mieux que la plupart elle exprime l’esprit du xixe siècle en tant qu’esprit en dissolution qui cherche à se rallier et qui ne peut manquer d’y réussir. Volontiers j’imagine un critique de l’avenir démêlant les éléments de ce système et se servant de cet exemple pour caractériser l’état de nos intelligences. M. Vacherot a eu du génie, si le génie consiste à résumer une époque et non à trouver ce qu’elle cherche, à dire ce que les autres pensent et non à le leur apprendre. Tous les systèmes sont représentés : nous avons l’empirisme des Anglais, l’idéalisme mathématique de Descartes et de Condillac, le criticisme des kantiens, le spiritualisme de Leibniz et d’Aristote, nous avons la philosophie audacieuse qui pour sauver la morale et la liberté désorganise l’intelligence. Il y a dans le système de M. Vacherot de toutes ces philosophies. Il a mis en forme nos angoisses et nos incertitudes dans un système désorganisé. À l’heure de force et de maturité, il est parvenu à faire un faisceau de ses idées dispersées ; il s’est donné à lui-même et aux autres l’illusion d’un système ; cette heure passée, ses idées mal liées se sont dispersées,