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g. séailles. — philosophes contemporains

donnera les idées générales, les lois régulières auxquelles obéissent les phénomènes ; elle ne donnera pas la vérité métaphysique, la vérité nécessaire, définitive ; elle ne donnera pas ce qui doit être, l’idée, principe intelligible des choses. Ce qui est vrai de l’entendement l’est plus encore de la raison : je ne puis concevoir que l’esprit sans autre secours que l’analyse tire de l’expérience les idées de l’infini et du parfait. — Mais vous oubliez la loi rationnelle, qui contraint l’esprit à ne s’arrêter dans aucune catégorie. — Pourquoi une réalité répondrait-elle à cette loi subjective ? Ce n’est pas l’expérience qui peut vous apprendre qu’une réalité infinie répond à votre conception de l’infini ; on ne voit, on n’observe que le relatif et le limité.

À vrai dire, toute cette théorie repose sur une hypothèse. M. Vacherot finit lui-même par le reconnaître et par formuler le principe sous-entendu qu’elle suppose. Il se rattache « à la philosophie, issue directement de la critique kantienne, qui établit que la distinction du subjectif et de l’objectif, telle que le dogmatisme et le scepticisme l’ont imaginée jusqu’ici, est illusoire ; que toute réalité n’est vraie qu’autant qu’elle est conforme à son idée, contrairement à la définition usuelle qui faisait de l’idée une simple expression de la réalité ; qu’enfin toute vérité est dans la pensée, et que les choses ne sont vraies, dans l’acception propre du mot, qu’autant qu’elles sont intelligibles, c’est-à-dire qu’elles se prêtent à l’action compréhensive de la pensée. » L’esprit est la pierre de touche de la vérité ; il la reconnaît à sa sympathie pour elle, et il la crée pour la découvrir : c’est comme une lumière qui est en lui et dans les choses et qu’il ne fait jaillir des choses qu’en la faisant jaillir de lui-même. M. Vacherot veut tout ramener à l’analyse ; ce qu’il y a de synthétique a priori, c’est précisément le principe sans lequel l’analyse ne peut donner ni l’universel ni le nécessaire, le principe que tout est intelligible, que la réalité est raison et que le progrès du monde est une dialectique. Par une sorte de faiblesse pour les savants, par un désir exagéré de les satisfaire et de les convaincre, M. Vacherot n’a voulu se servir que de leurs procédés ; mieux eût valu peut-être chercher ce qui fait la valeur de ces procédés, montrer qu’ils ne peuvent donner la vérité durable, nécessaire, universelle que dans l’hypothèse de l’intelligibilité des choses, et chercher dans cette dépendance d’une même hypothèse sinon l’égalité, du moins l’analogie de condition de la métaphysique et de la science.

Ainsi, cette première philosophie de M. Vacherot se sert de l’expérience plutôt qu’elle n’est fondée sur elle, car, livrée à elle-même, l’expérience nous révèle le probable et non le nécessaire, ce qui a été