Page:Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome IX, 1880.djvu/204

Cette page n’a pas encore été corrigée
194
revue philosophique

lesquelles les couleurs sont répandues dans notre milieu n’influent sur nos préférences. L’œil a ses habitudes, comme tous les autres organes. Il est probable que le vert intense est plus facilement supporté sur de larges surfaces, en raison de sa fréquence dans la nature, et que le rouge a le même privilège parmi les couleurs artificielles, parce que les teintures rouges ont été plus tôt inventées et plus à la portée de l’art humain. D’autre part, il y a lieu de tenir compte du pouvoir récréatif qu’ont certaines alternances, et tous ces phénomènes ont été avec raison relevés tant dans le livre que nous étudions que dans d’autres ouvrages, comme la Grammaire générale des arts du dessin de M. Gh. Blanc ; mais nous ne voyons pas ce que cet ordre de faits a de commun avec le régime alimentaires de nos ancêtres arboricoles, ni en quoi la thèse générale de notre auteur peut servir à les expliquer.

On allègue l’habitude qu’ont les enfants de porter à leur bouche les objets peints de vives couleurs. Mais si on observe les enfants avec soin, on verra qu’ils portent à leur bouche tous les objets qui leur plaisent, quels qu’ils soient. De là l’explication du baiser. Si les friandises sont bariolées par les confiseurs, c’est pour qu’elles aient un attrait de plus ; on peint de même tous les objets destinés aux enfants, alors même qu’ils ne sont pas comestibles, les jouets par exemple.

Ces réserves faites, nous reconnaîtrons sans peine que la réfutation présentée par M. Allen de la théorie de MM. Geiger, Magnus et Gladstone est définitive. Il y a là une démonstration magistralement conduite et qui fait le plus grand honneur au talent de l’écrivain comme à la pénétration du psychologue. Pratiquement, l’homme a toujours discerné les couleurs, cela est maintenant incontestable. Reste à savoir si le progrès du langage et le progrès correspondant de l’intelligence, qui a eu pour terme le discernement des couleurs abstraites, ont pu se produire sans que la perception sensible des nuances de la couleur n’en soit pas elle-même perfectionnée. Est-il possible en d’autres termes que le cerveau se développe dans ses centres supérieurs sans que la structure de l’organe correspondant en soit elle-même modifiée dans le sens d’une différenciation plus délicate ? Nous soumettons cette question à M. Allen lui-même, dont nous sommes heureux de reconnaître une fois de plus la haute compétence en fait d’esthétique physiologique. La différenciation de la fonction implique, ce semble, à quelque degré, la différenciation de l’organe.

En résumé, des trois propositions fondamentales signalées au début de notre analyse, la première seule, et encore en ce qui con-