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Ce n’est pas que tout rôle puisse lui être refusé dans le développement de la couleur et en général des attributs esthétiques, et M. Wallace nous paraît aller trop loin quand il attaque de front le principe darwinien lui-même. Son argumentation serrée et vigoureuse, nourrie de faits, habile à percer la théorie opposée partout où elle se découvre, n’est pas cependant sans défauts. Tout en lui accordant que les faits cités par Darwin ne sont pas tous concluants, on ne peut lui concéder que les femelles n accordent aucun prix à la couleur, sans déclarer implicitement que l’immense quantité de faits esthétiques recueillis jusqu’ici par la philosophie zoologique sont absolument dénués de sens. M. Wallace ne nie cependant pas que les mâles ne cherchent à tirer avantage de leurs ornements, de la couleur comme des autres : il soutient seulement que leurs manœuvres d’exhibition (display) ne tendent qu’à donner aux femelles une haute idée de leur force vitale, de leur « bravoure ». C’est tout ce que lui demandent ses adversaires, et M. Allen a raison de lui faire remarquer la part que prend nécessairement la couleur dans la manifestation que font ces oiseaux de leur vivacité, de leur impatience glorieuse ; cet attrait entre parmi tous les autres dans l’impression générale de la femelle, comme dans le sentiment que le mâle a de ses mérites, quelle que soit d’ailleurs l’obscurité ou la netteté de cette représentation dans leur conscience. Les femelles n’ont pas du plaisir à voir du rouge et du bleu en tant que tels, cela est certain ; elles reçoivent seulement une impression plus forte à la vue d’un mâle paré de vives couleurs, impression concrète et individuelle sans aucun doute. Une femme serait souvent bien embarrassée de dire la raison de ses préférences, elles reposent cependant sur des qualités abstraites, que les raffinées savent distinguer. L’air distrait avec lequel les femelles des animaux reçoivent les hommages ne doit pas davantage ébranler notre croyance à la sélection sexuelle ; car tous ceux qui ont observé les animaux savent qu’ils voient sans regarder et entendent sans écouter. Comme les enfants, oserai-je dire comme certaines femmes, ils ont un genre d’attention tout spécial et surprennent souvent les observateurs par l’à-propos de leurs remarques sur des objets auxquels ils ont paru tout à fait indifférents. Si Darwin croit utile de revenir un jour sur la sélection sexuelle, nous ne doutons pas qu’il ne puisse repousser de même les autres objections de M. Wallace. La sélection sexuelle est un principe acquis définitivement à la science, comme la sélection naturelle elle-même, dont elle n’est qu’un cas particulier.

Mais son pouvoir est borné comme celui de la sélection naturelle, et il nous semble que M. Allen tend à en méconnaître les limites.