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d’ailleurs. Il suffit à mon but d’avoir établi que la périphérie, pour jouer son rôle, doit non seulement avoir à sa disposition des organes bien constitués, mais encore être neutre, c’est-à-dire vierge de toute impression antérieure. Du moment que, à la façon d’une plaque photographique, elle a reçu une image, elle n’est plus propre à en recevoir une autre. Une nouvelle périphérie doit se former qui recevra une image à son tour, et ainsi de suite. La vie de l’être sensible est donc comparable à un album ou à un atlas auquel on ajoute sans cesse de nouveaux feuillets. Cette comparaison, qui nous servira par la suite, est d’une exactitude suffisante. Ce qui lui manque, c’est de ne pas exprimer l’action de ces couches les unes sur les autres, leur pénétration réciproque, et la propagation de leur influence jusqu’au noyau central. Plus approchante de la vérité serait l’assimilation de l’être sensible à une substance élastique dont toutes les molécules s’agitent sous l’impulsion de divers systèmes d’ondes provenant des ébranlements communiqués à sa superficie. Ainsi la surface d’une eau tranquille, troublée par la chute des corps qu’on y lance, nous montre des cercles ondulatoires se superposant les uns aux autres. C’est ainsi encore que, dans un théâtre, si l’on considère par les yeux de l’imagination une mince tranche d’air, on la verra frissonner sous les mille voix de l’orchestre, des acteurs et des spectateurs, et en propager devant elle les modulations multiples et incessamment variées, ou que chaque molécule d’éther sert à transmettre d’un bout à l’autre de la salle à la fois tous les accidents lumineux qui s’y produisent. Et cette comparaison même laisse à désirer. L’eau, l’air, reviennent à l’état de repos. L’âme est un instrument sur lequel on peut faire entendre indéfiniment des airs nouveaux, mais qui redit de lui-même et chante toujours en sourdine et sans confusion ceux qu’il a joués autrefois. C’est un cahier de feuilles phonographiques.

À considérer la chose de haut, l’animal passe donc toute son existence à s’emparer des forces extérieures au moyen de sa sensibilité sans cesse renouvelée. Je m’éloigne ainsi de l’opinion qui a généralement cours et qui fait consister la vie en une destruction de forces que la nourriture et le sommeil se chargent de réparer. Je me rapproche au contraire de la manière de penser de M. Serguèyeff, qui voit dans l’exercice de la veille une accumulation de forces. Et, de fait, le lecteur qui lit ces lignes et qui déploie un certain effort pour les comprendre, dépense sans doute de la force ; mais cette dépense a servi à fixer dans son cerveau d’autres forces sous forme d’idées et de réflexions qui feront désormais partie de son être, qui l’accompagneront partout et qui s’infiltreront dans toutes ses pensées ulté-