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de tropes et d’hypothèses, je ferai du moins en sorte que les images auxquelles j’aurai recours soient l’expression strictement fidèle des propriétés aujourd’hui connues de la matière soit inorganique, soit vivante.

Aussi bien qu’on ne peut imaginer un point d’attraction situé à l’infini, ou qu’il ne peut exister de milieu au zéro absolu de température, aussi bien peut-être est-il impossible de concevoir une sensibilité initiale. Inutile toutefois d’entrer dans l’examen de cette question, que j’ai traitée ailleurs[1]. Mais rien n’empêche de se représenter la première âme qui fut formée comme une table rase, une feuille de papier sans écriture. Seulement, à peine fut-elle née, qu’elle reçut de ce qui l’entourait une empreinte inaltérable. Dans tout le cours de son existence, les empreintes n’ont cessé de se superposer aux empreintes ; et, comme elle les a transmises plus ou moins défigurées à sa descendance, aujourd’hui toute âme qui vient au monde, porte écrite en elle-même l’histoire de sa race. C’est ainsi que l’écorce terrestre indique par la succession de ses couches toutes les vicissitudes de l’existence de notre planète.

Tout organisme est donc essentiellement constitué par un noyau central recouvert d’un dépôt de formation. J’entends par le noyau central l’ensemble des éléments héréditaires, c’est-à-dire des instincts, des dispositions, des qualités qui lui viennent par voie d’héritage et qu’il transmettra à son tour presque intégralement à sa postérité, en y joignant une partie de ses propres acquisitions. Le dépôt de formation est le produit de sa faculté assimilatrice et se compose d’une série ininterrompue de couches, je dirais volontiers journellement formées. De sorte qu’on pourrait nombrer par elles les jours qu’il a vécu, de même que l’on peut deviner l’âge d’un arbre à l’aspect que présente sa coupe transversale.

Dans le noyau central, il y a à faire une distinction entre les caractères spécifiques et les traits individuels, car l’individualité est marquée dès la naissance. Un œuf humain fécondé deviendra un homme et un certain homme. Il contient en lui le type de l’espèce humaine, et, en outre, il possède déjà en propre certaines qualités qu’il tient de l’état du milieu et de la disposition de ses parents au moment de la conception.

Faisons abstraction de ce qu’il y a d’accidentel et d’individuel dans le noyau, et ne considérons que l’ensemble de ses attributs spécifiques. Il est certain que le noyau lui-même est un produit de formation. Chez les ancêtres les plus reculés, il avait une composition

  1. Spécialement dans ma Psychologie comme science naturelle.