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la force qui a tiré la corde de son premier état ? Aussi la corde ne revient-elle pas exactement à sa forme et à sa constitution premières ; elle est un peu relâchée. C’est pourquoi un violoniste doit de temps en temps remonter son instrument. C’est ainsi encore qu’un pendule mis en mouvement finit par s’arrêter, et que la force du premier déplacement passe tout entière dans l’usure et réchauffement de l’appareil de suspension, dans les chocs contre l’air et dans d’autres phénomènes.

Voilà pour l’équilibre statique. Veut-on un exemple d’équilibre dynamique ? Une pierre lancée dans de l’eau dormante la sillonnera de plis ondulés qui courront les uns après les autres en rayonnant autour du point où elle est tombée. Le jet d’une seconde pierre en un autre point y formera de nouveaux cercles qui se dessineront sur les premiers. Par la chute d’une troisième pierre, un troisième système d’ondes viendra se superposer aux deux précédents ; et ainsi de suite. Le réseau qui s’imprimera sur la surface de l’eau contiendra l’expression fidèle des accidents qui ont troublé sa tranquillité ; il suffira de l’inspecter pour refaire l’histoire de sa formation, retrouver l’acte de naissance du premier système et les actes des mariages successifs de ce système avec les autres. La position d’un seul grain de poussière suspendu dans un rayon de soleil est le résultat adéquat de toutes les forces qui l’ont agité depuis la création du monde. Il suit de là qu’une intelligence infinie, par un simple coup d’œil jeté sur un élément quelconque de l’ensemble des choses, devinera tout leur passé. Un exemple très simple peut servir à le prouver.

On sait que la lumière met du temps à aller d’un point à un autre. Celle du Soleil nous est transmise en huit minutes ; celle de Sirius ne nous arrive qu’au bout de plusieurs années, et il y a des nébuleuses tellement éloignées de nous que leurs rayons ne nous parviennent probablement qu’après des milliers de siècles. Chaque fois donc qu’un habitant de ces astres lointains allume une lampe, c’est à cent mille ans de distance que sa lueur vient frapper notre planète ; cent mille ans après, elle continue toujours à voyager à travers l’espace, réfléchie et réfractée dans tous les sens. Ainsi une rétine infiniment sensible et infinie comme l’étendue elle-même, verrait non seulement le présent, mais encore tout le passé, parce que de tous les endroits de l’univers seraient partis incessamment et à chaque instant des messagers chargés de transcrire en chacun des points de son tissu une page plus ou moins reculée de leur histoire.

Nous savons donc maintenant quelle est l’origine et quelle est la fin de la force. Son point de départ est une rupture d’équilibre ; son