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de cette métamorphose du transformable en intransformable, et, en fin de compte, à substituer une autre formule à celle de la conservation de l’énergie.


III. — Le principe de la fixation de la force.

Si la force se manifestait sous la forme d’un mouvement de propagation ou d’ondulation dans un milieu parfaitement élastique, elle resterait constamment identique à elle-même ; à n’importe quel instant de la durée, elle serait ce qu’elle était l’instant d’auparavant, ce qui revient à dire qu’il n’y aurait ni changement ni durée. Jusqu’à quel point cette hypothèse est-elle possible, même idéalement ? Je n’ai pas à m’en préoccuper ; il me suffit de savoir qu’elle n’est pas réalisée[1]. Nous ne connaissons point de milieu jouissant d’une élasticité parfaite[2]. Il s’ensuit que, dans les milieux réels, la force doit vaincre des résistances et sort affaiblie de la lutte. Une partie d’elle-même se transforme en une modification imprimée à l’obstacle ; cette transformation est permanente, en ce sens que l’état primitif ne se reformera pas de lui-même, et, partant, il y a de la transformabilité irrévocablement détruite.

Certes la force transformée n’est pas annihilée ; elle continue à être susceptible de produire des effets, puisque toute nouvelle force venant agir sur l’obstacle modifié le sentira réagir d’une manière qui accusera cette modification même. De sorte que, pendant l’éternité, le choc éprouvé au début imprimera un trait spécial et indélébile à la physionomie de l’univers. Mais cette force ne pourra plus reprendre intégralement sa première forme. Avant cet accident, elle pouvait devenir ceci ou cela ; maintenant qu’elle est cela, il ne pourra plus se faire qu’elle ne soit devenue telle.

On peut caractériser d’un mot ce changement : la force était libre, — si je puis me servir de cette expression ; — elle ne l’est plus ; elle est fixée, et fixée dans l’obstacle. Remarquons en outre que la fixation d’une force libre n’est autre chose que sa combinaison avec une autre force qui par là aliène comme elle une partie de sa liberté. Or, comme il n’y a dans la nature, ainsi qu’il vient d’être dit, aucune substance d’une élasticité absolue, les chocs des molécules les unes contre les autres sont renvoyés amortis ; l’aspect de l’univers varie

  1. On vient de voir que la vie de l’univers se poursuit entre deux termes extrêmes, mais infiniment éloignés, où l’hypothèse se réalise.
  2. On attribue à l’éther cette propriété. Mais l’éther est un milieu hypothétique. Et d’ailleurs il ne laisse pas que d’offrir une certaine cohésion, puisque la lumière ne le traverse pas instantanément.