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La comparaison suivante, qui exprimera exactement ce qui se passe dans la nature, rendra la chose sensible. Que l’on se représente un chemin de fer automoteur établi sur un plan incliné. Une corde sans fin passe sur deux poulies placées l’une en haut, l’autre en bas du plan, et, pendant qu’un wagon descend, un autre monte. Quand je charge sur l’un des wagons des matériaux qui sont en haut, il se met à descendre et il fait remonter l’autre wagon. Je puis profiter de cette force de descente pour conduire à l’extrémité supérieure du plan une certaine quantité des matériaux antérieurement descendus ; mais il est évident — fit-on même abstraction des frottements — que je ne pourrai en ramener qu’un poids inférieur, de si peu que ce soit, à celui qui charge le wagon descendant. De sorte que ce manège a nécessairement pour résultat de transporter des matériaux de haut en base à chaque descente, et que le stock inférieur s’accroît sans cesse aux dépens du stock supérieur. Et ainsi il arrivera inévitablement un jour où le travail devra cesser faute d’aliment. D’un autre côté, l’arrêt du mouvement de descente produit de la chaleur, de manière que la force de tension des matériaux supérieurs se transforme peu à peu en calorique. Il y aura toujours la même somme de matière, avec cette différence que primitivement elle était au haut et que finalement elle est au bas du plan ; et la même somme de force, avec cette différence que la tension est remplacée par la chaleur. Mais ces différences sont considérables.

Inutile, avant d’aller plus loin, de noter que, dans l’industrie, on ne fait pas d’habitude servir la force de descente uniquement à un travail de. remonte. Mais, quel que soit le travail auquel elle est affectée, qu’elle doive soulever un marteau, creuser une roche ou broyer le grain, au fond cela revient exactement au même.

Qu’est-ce donc qui se consomme dans ce travail, quel qu’il soit ? Ce n’est pas de la matière, c’est une simple différence de niveau. Ce n’est pas l’eau qui meut le moulin, c’est sa capacité de tomber. Elle ne serait d’aucune utilité si elle ne venait de plus haut que les aubes de la roue.

La force ne réside donc pas dans la matière même, mais dans la position de la matière[1]. Or on ne se sert d’une différence de niveau qu’en la détruisant, et, quand elle est détruite, elle ne peut se reconstituer.

C’est quelque chose d’analogue qui se passe dans la transformation de la chaleur en mouvement. On ne peut opérer cette transfor-

  1. J’ai déjà, dans ma Logique scientifique, donné et défendu cette définition de la force, mais en me fondant sur des considérations d’un autre caractère.