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delbœuf. — le sommeil et les rêves

II. — La transformation des forces et la fin de l’univers physique.

Reprenons maintenant le problème sous un autre aspect. La logique est une science infaillible, nul ne s’avisera de le contredire. Mais il arrive assez souvent à l’esprit humain d’en appliquer à faux les principes et d’appuyer ses raisonnements sur le vide. L’argumentation précédente, toute plausible qu’elle est, a-t-elle un fondement solide, et la science positive, qui ne se paye pas de mots, est-elle disposée à la ratifier ? Abandonnons donc le terrain de la dialectique, et, nous rapprochant de la réalité, appliquons nos réflexions à un exemple concret.

Une chute d’eau fait mouvoir un moulin. Cette eau n’est évidemment pas perdue. Cependant, après qu’elle est tombée, elle n’est plus dans le même lieu qu’auparavant : elle était en haut, la voilà en bas. Quand elle était en haut, elle pouvait faire aller le moulin ; mais, une fois en bas, elle ne le peut plus. Elle a perdu de la force de chute ; elle ne pourra plus mettre en mouvement que des moulins situés au-dessous. Qu’est devenue cette force de chute ? Elle a, dit-on, passé tout entière dans le mouvement de rotation de la roue, ce qui fait que l’arrêt de ce même mouvement pourrait faire remonter l’eau tombée jusqu’au point d’où elle tombe. Cette assertion, à peine soutenable, comme on vient de le voir, au point de vue de l’abstraction pure, ne l’est absolument plus dès qu’on fait entrer en ligne de compte les éléments réels du problème. La force de chute a donné lieu à d’autres phénomènes que la rotation de la roue, et partant cette rotation ne pourrait suffire à remonter toute l’eau à son point de départ.

Ainsi, entre autres effets, il s’est produit une certaine quantité de chaleur par le frottement de l’axe du moulin sur ses points d’appui, et par le choc des molécules d’eau les unes contre les autres, et contre les aubes de la roue. Cette production de chaleur s’est faite aux dépens du mouvement, qui en a été moins rapide. Maintenant une question se présente : pourrait-on retirer de cette chaleur tout le mouvement qu’elle a absorbé ? Eh bien, non. Une partie de cette chaleur, une partie, par conséquent, de la force de chute, n’est plus désormais susceptible de transformation ; elle est irrévocablement perdue pour le mouvement. Ce point est de la plus haute importance, et je dois m’y arrêter quelque temps pour dissiper des erreurs qui passent volontiers pour des vérités dans l’esprit des penseurs peu familiarisés avec la théorie mécanique de la chaleur, telle que l’ont établie Mayer et Clausius.