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Un beau soleil devait avoir lui dans la matinée ; les intéressants reptiles avaient mis le nez à la fenêtre, et, attirés par la clarté du jour et la chaleur, s’étaient aventurés au dehors. Le ciel s’était ensuite obscurci tout à coup, un orage (sic) de neige avait éclaté et coupé la retraite aux deux imprudents. Je les réchauffai dans mes mains, et, dégageant leur cachette, je les replaçai à l’entrée, ayant soin auparavant de semer vers l’intérieur quelques fragments d’un asplenium ruta muralis, qui croissait sur la muraille. »

Ici, j’interromps un instant ma narration. Tout le monde a remarqué, sur les vieux murs ou les rochers, une charmante petite fougère à feuilles très légèrement découpées : c’est l’asplenium ruta muraria. Je ne suis pas botaniste et n’ai retenu que peu de noms de plantes. Je ne connaissais pas, entre autres, celui-là. Or, à mon réveil, je l’avais noté, avec un léger changement, comme on vient de le voir, et je crus tout d’abord que mon imagination l’avait forgé. M’étant informé, j’appris à mon grand étonnement que le nom est réel et que la plante en question croît en effet sur les murs. l’asplenium de mon rêve ne ressemblait d’ailleurs pas tout à fait à la plante ainsi nommée. C’était bien une fougère, mais les feuilles en étaient d’un rouge cerise très prononcé, et elles se pulvérisaient dans la main comme des feuilles de laurier desséchées. Je reprends maintenant ma narration.

« Les lézards de mon rêve raffolaient de cette plante, je le savais, et j’eus la satisfaction de voir mes deux jolis protégés se glisser lentement dans leur habitation. Je fus distrait de mes soins par une espièglerie de mon ami V… V… Il me lança de la fenêtre de sa chambre, qui donnait sur ma cour, un caillou qui faillit m’atteindre. Je grimpai lestement le long de la muraille jusque chez lui, l’enfermai dans une armoire, et redescendis aussi légèrement que j’étais monté. Quel ne fut pas alors mon étonnement de trouver mes deux commensaux tout ragaillardis et contemplant avec une mine de repus et des regards de béate bienveillance deux autres lézards qui se disputaient à belles dents les débris d’asplenium qu’ils avaient délaissés ! Jamais je n’avais connu dans ce trou d’autres lézards que ceux à qui je venais probablement de sauver la vie. Justement intrigué d’une rencontre aussi extraordinaire, je voulus m’enquérir d’où pouvaient s’être échappés les nouveaux venus, et je suivis les traces légères marquées sur la neige. Combien mon étonnement redoubla à la vue d’un cinquième lézard en route pour se joindre aux autres ! — Plus loin, un sixième prenait la même direction. Et, jetant les yeux tout autour de moi sur la campagne — nous sommes maintenant dans la campagne, — je vis qu’elle était couverte de lézards qui