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delbœuf. — le sommeil et les rêves

et là elles donnaient des représentations où elles faisaient briller leur affection pour moi et leur intelligence. J’avais le plus grand soin de tout ce petit monde, et je me faisais un véritable devoir de répandre sur la vie de ces pauvres animaux le plus d’agréments possible, puisque je leur avais ravi la liberté. Quand il leur arrivait un accident, j’en étais profondément affligé ; et aujourd’hui encore le souvenir d’un beau gros lézard gris, qui, à l’heure du dîner, venait de lui — même se fourrer dans ma manche, et que mon père écrasa un jour par mégarde, éveille en moi un sentiment pénible. J’avais aussi des oiseaux, serins, tarins, bouvreuils, chardonnerets, volant en toute liberté dans la maison. Une nuit, un maudit chat en fit une hécatombe. Le chagrin que je ressentis fut si vif, que, depuis lors, j’ai renoncé à ce genre de récréation.

Le lecteur jugera sans doute une partie de ces détails inutile ; et, tout bien compté, il aura raison. Mais pouvais-je manquer une si belle occasion de consacrer quelques mots de regrets à ces humbles amis qui ne m’ont jamais trompé ?

J’arrive à mon rêve. C’est le premier que je me suis avisé de noter, dans l’intention de l’envoyer à une revue scientifique dont on annonçait l’apparition. Je ne sais par quel motif je n’ai pas donné suite à mon projet. Ce qui m’avait alors particulièrement frappé, c’est, d’une part, le fait que j’avais rêvé d’odeur, et, d’autre part, le rapprochement que j’avais établi, tout en rêvant, entré un incident de mon rêve et la lecture de la veille. Aujourd’hui, j’approfondirai des détails qui n’auraient pu, dans ce temps-là, être l’objet de mes réflexions. Je reproduis presque textuellement — on verra pourquoi — le récit tel que je l’avais rédigé le lendemain :

« C’était à la fin du mois de septembre de l’année 1862. Le soir, avant de me mettre au lit, j’avais lu dans Brillât— Savarin son chapitre sur les rêves. D’après le spirituel conseiller, deux de nos sens, le goût et l’odorat, nous impressionnent très rarement pendant le sommeil, et, si l’on rêve par exemple d’un parterre ou d’un repas, on voit les fleurs sans en sentir le parfum, les mets sans les savourer. Je ne méditai pas autrement sur la chose, je me mis au lit et ne tardai pas à m’endormir.

« Je ne saurais dire si c’était vers deux ou trois heures du matin, mais je me vis tout à coup au milieu de ma cour pleine de neige, et deux malheureux lézards, les habitués de la maison, comme je les qualifiais dans mon rêve, à moitié ensevelis sous un blanc manteau, gisaient engourdis à quelque distance de leur trou obstrué. Pourquoi ces petits animaux avaient-ils abandonné leur demeure ? À cette question que je m’adressai, je trouvai bientôt une réponse plausible.