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vie de l’esprit. C’est l’imagination qui donne aux idées une forme sensible et permet de les communiquer aux autres, c’est elle qui, trait d’union entre la matière et l’esprit, reproduit sous forme d’images les objets extérieurs et rend possible la connaissance du monde ; c’est elle qui sans cesse agit et travaille, donne à la science ses matériaux, préside au mouvement des images qui s’agitent dans le rêve ; c’est elle enfin qui domine toute la vie pratique en représentant comme présent un bien éloigné qui n’existe pas encore. — Mais pourquoi affirmer que dans la nature existe une puissance analogue ? — Parce que la nature se propose des fins qu’elle réalise, parce qu’elle monte l’échelle des êtres vivants, en inventant des formes de plus en plus compliquées, parce qu’à tous les degrés de l’être elle nous révèle l’effort d’un génie créateur, dont les idées sont des réalités vivantes. En identifiant ainsi la puissance qui dans l’esprit humain suscite les images et qui dans la nature fait vivre les formes qu’elle invente, on ne fait qu’une hypothèse ; mais une hypothèse s’impose dans la mesure même où elle est vérifiée par les faits et où elle rend la réalité intelligible.

L’imagination est, par une hypothèse que la réalité peut seule justifier, le principe du développement du monde. Quel est maintenant son état primitif ? Quels sont les facteurs auxiliaires qui doivent s’ajouter à cette force impulsive pour expliquer la marche du monde ? À l’origine, l’imagination créatrice n’est qu’une puissance encore indéterminée de se manifester par une multitude infinie de formes plus ou moins parfaites, une tendance à produire des organismes de plus en plus complexes, qui a besoin de la lutte et de l’effort pour prendre conscience d’elle-même. Toutes les fois qu’on veut expliquer l’univers par un principe unique, on échoue et on est réduit à rétablir le dualisme, en le dissimulant avec plus ou moins d’habileté : pour les idéalistes, l’esprit s’oppose un non-moi ; pour les matérialistes, les atomes contiennent la force. Puisque nous retrouvons toujours l’opposition de la matière et de l’idée, pourquoi ne pas accepter ce dualisme inévitable ? Si haut que nous puissions remonter dans l’histoire de notre monde, la matière existe, mais elle est pénétrée, spiritualisée par la puissance créatrice, qui déjà l’émeut et l’agite et va s’en servir pour exprimer des idées de plus en plus hautes. La cause matérielle et la cause formelle, les éléments et le génie de la combinaison, est-ce assez pour construire le monde ? Non. L’imagination créatrice ne peut travailler la matière qu’en obéissant aux lois universelles, nécessaires, qui dominent toute réalité et deviennent dans l’esprit les lois de la pensée, les principes de toute science et de toute logique-, elle n’arrive à ses fins qu’en se servant des forces, qu’en se pliant au mécanisme et en le dirigeant tout à la fois. C’est sur la trame inflexible de la nécessité que l’esprit brode ses variations. Enfin il faut admettre à l’origine des choses, « comme un désir et un principe de direction dans l’activité du principe créateur, » les idées du beau, du vrai, du bien, idées encore sommeillantes dans l’inconscience du monde, mais dont l’existence éternelle est supposée