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ses propres lois, l’humanité à son tour, imprimant peu à peu dans l’homme ses formes et son organisation, finira par descendre en lui tout entière : l’individu portera en soi la société, et la société portera en soi le monde. »

Correction du système. — Cette harmonie s’établissant nécessairement enferme en soi un germe de dissolution. C’est « le tassement de cailloux dont parle Montaigne, qui par une agitation prolongée s’arrangent d’eux-mêmes, se polissent, se disposent en couches hiérarchiques, la foule des petits en bas, et quelques gros par-dessus ; et, avec le temps, le frottement finira par les ramener à la môme grosseur, et, avec du temps encore, il les réduira tous en poussière. » En effet, la réflexion a pour effet propre de détruire l’œuvre de l’association et de l’hérédité. Tôt ou tard, éclairée par la philosophie même de M. Spencer, la sympathie se reconnaîtra comme une contrainte et se reniera ; et il ne restera en présence que des égoïsmes conscients d’eux-mêmes et de leur fin, le plaisir, qui est un bien individuel. Mais nous pouvons concevoir et embrasser un idéal plus élevé du bonheur. Le plaisir n’est que le sentiment de l’existence, et le degré le plus haut de l’être, c’est la liberté puissante pour soi et douce aux autres. La vraie harmonie est libre ; le vrai bonheur est notre œuvre. Le droit n’est pas seulement une condition utile ou un moment nécessaire de révolution sociale ; il en est la fin, il doit en être la règle.

III. Le droit et l’idée de liberté. — L’âme de la France est l’idée de la liberté. Le génie français est enthousiaste, et l’enthousiasme est l’élan spontané de la volonté, affranchie des soucis égoïstes, vers l’idéal qui la passionne. Le génie français se passionne pour les idées universelles ; son action est contagieuse, parce qu ; il universalise toujours ses principes d’action ; il est généreux et désintéressé. Idéaliste, il manque de sagesse pratique, de sens politique ; mais, malgré ses déceptions et ses chutes, il garde sa foi indomptable au progrès, c’est-à-dire encore à la liberté ; car la liberté, c’est la perfectibilité indéfinie. Enfin il est libre penseur, mot tout français comme la chose ; il poursuit un idéal humain, social, sans aucun mélange de mysticisme et de surnaturel, précisément parce qu’il ne conçoit rien au-dessus de l’idée du droit et de la liberté.

Et cependant les écoles naturalistes nient la liberté et le droit ; et les écoles libérales les appuient sur le libre arbitre, mystère de la raison, scandale de la nature. La philosophie nationale du droit est à construire.

Construction du système. — Ce qu’il y a de vrai dans le naturalisme, c’est que la liberté n’est pas un fait d’expérience intérieure ; fi n’y a donc pas de droit naturel. Pour proclamer une personne inviolable, il faut supposer en elle une faculté d’un prix infini, absolument indépendante et vraiment créatrice ; et il faut la supposer également chez tous les hommes. Est-ce là l’humanité avec ses inégalités naturelles, ses violences et ses faiblesses ? On ne peut y voir qu’un idéal sans doute inaccessible.