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analyses. — a. fouillée. L’idée du droit.

Elle n’est pas définitive. Les divers états restent en présence sans autre cri* ère du droit que la guerre et ses hasards : « L’ultima ratio des peuples sera toujours le canon. » (Strauss.) C’est l’idéal prussien. Mais la logique nous contraint de le dépasser et de nous élever à l’idéal socialiste. Au-dessus des peuples est l’humanité. La volonté de l’humanité, ou du moins de la majorité de l’humanité, des prolétaires par exemple, est donc la mesure suprême du droit. Le droit, c’est la direction humaine.

Critique et correction du système : — Le droit est toujours une idée, c’est-à-dire une anticipation sur les faits. Aussi se présente-t-il surtout comme le droit du faible contre le fort ; c’est un appel à l’avenir. Or la force n’est qu’un résultat. Elle résulte des actions accomplies ; donc elle ne peut fournir une règle aux actions à accomplir. — Pour corriger le système, il faut déterminer l’idée de la direction humaine, et, s’il est possible, concevoir l’idéal de la force. Or il est aisé de montrer que le mécanisme social le plus durable et le plus puissant est celui où les forces individuelles convergent volontairement vers une même fin. Donc, pour que l’action humaine atteigne son maximum d’énergie, il faut que les personnes soient investies d’une égale liberté. Donc enfin, dans la doctrine de la force, l’autonomie des personnes est la plus haute expression du droit[1].

II. Le droit et l’intérêt. — Le génie anglais est utilitaire et positif. Il prétend traduire toute idée par un fait. Il ne cherche donc pas le principe du bien dans une abstraction pure : il le place dans la réalité la plus immédiate, dans le plaisir ou l’intérêt. En morale, il débute donc par l’égoïsme. Mais les intérêts étant solidaires, il est utile d’être utilitaire pour autrui comme pour soi. L’égoïsme bien entendu conduit à la sympathie ; Adam Smith complète Hobbes. Stuart Mill et M. Spencer, à leur tour, complètent Adam Smith : la sympathie est un rapprochement volontaire ; elle établit une unité variée et réclame l’égale liberté de chacun pour former le concert social. D’ailleurs les lois de l’association et de l’hérédité transforment le droit civil en droit naturel, et rendent peu à peu inutile la loi coactive de l’État. Par un rhythme lent, l’intérêt individuel et l’intérêt social, l’homme et l’humanité, l’humanité et l’univers tendent vers une harmonie finale. « Comme l’univers, par l’impression accumulée des siècles et le choc répété des choses, façonne l’humanité à son image et fait descendre en elle

  1. Cette philosophie du droit est-elle vraiment germanique ? Les Allemands refusent de s’y reconnaître, comme on peut le voir dans un compte rendu, du reste très judicieux et très sympathique, que les Philosophische Monatshefte ont publié du livre de M. Fouillée (1879, n° 3). — Il est certain qu’elle rappellerait plutôt Hobbes et Spinoza ; mais il faut y chercher seulement une construction idéale, synthétisant un grand nombre d’idées et de tendances que l’on rencontre ; cela est incontestable, chez beaucoup d’écrivains philosophiques de l’Allemagne contemporaine. Il est d’ailleurs très digne de remarque que M. Fouillée, dans son jugement sur le génie allemand, se rencontre avec Michelet, l’historien divinateur. (Voy. Introduction à l’histoire universelle.)